Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/426

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
LES ROUGON-MACQUART.

— Vous êtes toute belle aujourd’hui. Si les reines se faisaient servantes…

Elle coupa son compliment, elle dit avec son audace :

— Alors, vous ne lisez pas ?

Il joua l’oubli. Puis, feignant de se souvenir :

— Ah ! oui, cette lettre… Je vais la lire, si cela peut vous plaire.

Et, à l’aide d’un canif, il fendit l’enveloppe, soigneusement. D’un regard il eut parcouru les quelques lignes. L’empereur acceptait sa démission. Pendant près d’une minute, il tint le papier sur son visage, comme pour le relire. Il avait peur de ne plus être maître du calme de sa face. Un soulèvement terrible se faisait en lui ; une rébellion de toute sa force qui ne voulait pas accepter la chute, le secouait furieusement, jusqu’aux os ; s’il ne s’était pas roidi, il aurait crié, fendu la table à coups de poing. Le regard toujours fixé sur la lettre, il revoyait l’empereur tel qu’il l’avait vu à Saint-Cloud, avec sa parole molle, son sourire entêté, lui renouvelant sa confiance, lui confirmant ses instructions. Quelle longue pensée de disgrâce devait-il donc mûrir, derrière son visage voilé, pour le briser si brusquement, en une nuit, après l’avoir vingt fois retenu au pouvoir ?

Enfin Rougon, d’un effort suprême, se vainquit. Il releva sa face, où pas un trait ne bougeait ; il remit la lettre dans sa poche, d’un geste indifférent. Mais Clorinde avait appuyé ses deux mains sur la petite table. Elle se courba dans un mouvement d’abandon, elle murmura, les coins de la bouche frémissants :

— Je le savais. J’étais là-bas encore ce matin… Mon pauvre ami !

Et elle le plaignait d’une voix si cruellement moqueuse, qu’il la regarda de nouveau les yeux dans les yeux. Elle ne dissimulait plus, d’ailleurs. Elle tenait la