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LES ROUGON-MACQUART.

l’affaire de madame Leturc, la veuve du capitaine, qui demande un bureau de tabac. Je lui ai promis un résultat pour la semaine prochaine… Et l’affaire de cette demoiselle, vous savez, Herminie Billecoq, une ancienne élève de Saint-Denis, que son séducteur, un officier, consent à épouser, si quelque âme honnête veut bien avancer la dot réglementaire. Nous avions pensé à l’impératrice… Et toutes ces dames, madame Chardon, madame Testanière, madame Jalaguier, qui attendent depuis des mois ?

Rougon, paisiblement, donnait des réponses, expliquait les retards, descendait dans les détails les plus minutieux. Il fit pourtant comprendre à madame Correur qu’elle devait à présent compter beaucoup moins sur lui. Alors, elle se désola. Elle était si heureuse de rendre service ! Qu’allait-elle devenir, avec toutes ces dames ? Et elle en arriva à parler de ses affaires personnelles, que Rougon connaissait bien. Elle répétait qu’elle était une Martineau, des Martineau de Coulonges, une bonne famille de Vendée, où l’on pouvait citer jusqu’à sept notaires de père en fils. Jamais elle ne s’expliquait nettement sur son nom de Correur. À l’âge de vingt-quatre ans, elle s’était enfuie avec un garçon boucher, à la suite de tout un été de rendez-vous, sous un hangar. Son père avait agonisé pendant six mois sous le coup de ce scandale, une monstruosité dont le pays s’entretenait toujours. Depuis ce temps, elle vivait à Paris, comme morte pour sa famille. Dix fois, elle avait écrit à son frère, maintenant à la tête de l’étude, sans pouvoir obtenir de lui une réponse ; et elle accusait de ce silence sa belle-sœur, « une femme à curés, qui menait par le bout du nez cet imbécile de Martineau », disait-elle. Une de ses idées fixes était de retourner là-bas, comme Du Poizat, pour s’y montrer en femme cossue et respectée.