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pas la proportion dans laquelle il doit être avec le revenu de la terre franc & liquide, ou, comme disent les économistes, avec le produit net.

L’abondance produite & soutenue par ces causes réunies, procure à un état les plus grands avantages ; elle en augmente la population, elle en accroît la force, elle y anime le travail & la circulation, elle étend la sphère & le mouvement du commerce, elle répand l’argent, excite l’activité, & multiplie les revenus & les jouissances. C’est un fleuve bienfaisant qui, recevant sans cesse le tribut de divers ruisseaux & grossissant dans sa course, embellit & fertilise tous les lieux où il passe, & devient toujours plus agréable & plus utile.

Il n’y a donc pas de gouvernement qui ne soit intéressé à faire naître & à perpétuer sur son territoire cette heureuse abondance ; & cependant il est bien peu d’états où on la trouve, & bien moins encore où elle soit durable.

Cela n’est pas étonnant, me dira-t-on ; il faut l’accord du ciel & de la terre pour produire cette abondance dans un état, tandis que l’intempérie des saisons ou l’effet casuel des élémens suffit pour la détruire, ou même pour l’empêcher de naître. D’accord : ces causes naturelles l’éloignent quelquefois de certains états, & peuvent y occasionner la disette & la famine. Mais l’expérience nous apprend que dans un royaume étendu, dont les terres sont traitées par une grande & puissante culture, où l’impôt est modéré & où le commerce des denrées est libre, les récoltes peuvent souffrir considérablement & être détériorées par les gelées, par les pluies, &c. sans que les récoltes manquent en entier, sans qu’elles amènent la disette. Dans un tel pays, le riche produit des récoltes d’une année excède beaucoup ce qu’il faut de denrées pour nourrir les habitans jusqu’aux récoltes prochaines, & le commerce extérieur n’y épuise jamais le superflu des grains[1]. Il s’y fait insensiblement un amas de denrées non vendues, qui, dans une année peu fertile, sort des greniers & des magasins, & soutient encore l’abondance dont on a coutume d’y jouir. Il faudroit une longue suite de mauvaises années pour faire éprouver à ce pays de liberté, non une famine, parce que la liberté du commerce des denrées y remèdie toujours, mais une très-grande cherté. Or, dans un pays qui a un territoire bien cultivé, les récoltes ne manquent jamais entièrement ; il y a toujours des provinces plus heureuses que d’autres. Les secours qu’on en tire & les grains de l’étranger suppléent à ce qui peut manquer aux cantons mal-traités, & il ne résulte de cette diminution partielle des récoltes, qu’une augmentation momentanée du prix des denrées, qui, haussé par les frais de transport, se trouve alors un peu au-dessus du marché courant des grains chez les nations voisines.

Les mauvaises saisons & les météores sont nuisibles sans doute aux fruits de la terre ; mais les fléaux qui les détruisent dans un état & qui en éloignent l’abondance, ce sont les taxes indirectes, toujours plus onéreuses qu’elles ne le paroissent, & qui tombent en grande partie sur les classes les plus pauvres de la société ; ce sont les impositions désordonnées qui rongent les avances de la culture, après avoir dévoré les profits du laboureur ; ce sont enfin les encouragemens donnés au commerce du luxe, au préjudice de celui des produits du sol, & sur-tout les gênes & les prohibitions sous lesquelles on y fait gémir celui des grains.

Si l’abondance paroît dans cet état, ce ne peut être qu’à longs intervalles & toujours au désavantage du peuple ; car les erreurs du gouvernement lui rendent même nuisibles la libéralité de la nature & la fécondité de la terre. Faute d’acheteurs & de débouchés, les denrées demeurent alors entassées dans les greniers, le peu qui s’en vend ne se débite qu’à perte pour le cultivateur, qui n’en retire pas ce qu’elles lui coûtent. Les revenus des propriétaires diminuent, & avec les revenus leurs dépenses ordinaires. Ils achètent peu ou font peu travailler, ce qui fait baisser les salaires dans la proportion du prix des grains. Les productions de la terre sont à vil prix, & cependant l’on n’a pas de quoi les payer. L’émulation tombe ainsi que l’industrie, & les campagnes, surchargées du poids inutile de leurs récoltes, invoquent la disette & la cherté qui, arrivant bientôt ensemble, achèvent de ruiner l’état. Voyez les articles Abandon, Grains, Fermiers.

Dans tout pays au contraire où le gouvernement plus éclairé protège l’agriculture, & ne cesse de la faire jouir de la paix & de la liberté dont elle a besoin, il s’établit naturellement au dedans & au dehors un grand & utile commerce des denrées du sol, dont les profits retombant sur la terre, la rendent encore plus productive. Alors le laboureur, le propriétaire & le souverain voyant croître leurs revenus tous les ans avec l’abondance générale, étendent leurs jouissances, consomment & dépensent davantage, & font participer ainsi les autres classes de la société à l’augmentation des revenus que procure l’abondance. Telle est l’influence de la liberté du commerce

  1. Il est prouvé que l’Angleterre qui, durant 76 ans, c’est-à-dire depuis 1688 jusqu’à 1764, a non-seulement joui de la liberté de l’exportation des bleds, mais qui l’avoit encore forcée par des récompenses proportionnées à la quantité des grains exportés, n’a vendu à l’étranger, année commune, qu’environ un million de septiers de grains mesure de Paris, quoiqu’elle en récoltât annuellement plusieurs millions au-dessus de sa consommation ordinaire. Les ventes des denrées se proportionnent naturellement aux besoins de ceux qui achetent & à la concurrence des vendeurs.