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fausse idée qu’il avoit conçue des prérogatives de son siège : « l’église, en épousant le vicaire de Jesus-Christ, lui a apporté la plus riche & la plus précieuse dot, qui est la plénitude du pouvoir spirituel & temporel : elle lui a donné la mître comme un gage de son autorité spirituelle, & la couronne comme une marque de sa puissance temporelle. La mître est le symbole du sacerdoce, & la couronne celui de la royauté. En le revêtant de ces ornemens, elle l’a constitué le vicaire de celui qui porte écrit sur ses vêtemens & sur sa cuisse : le roi des rois, & le seigneur des seigneurs ».

De peur que les honneurs que l’on rend au chef de l’église ne devinssent un acte d’idolatrie, les papes ont fait mettre une croix sur l’empeigne de leurs souliers. Ainsi ce n’est pas, à proprement parler, les pieds du pape que l’on baise ; c’est la croix de J. C.

Quant à l’usage de porter le pape sur les épaules de quelques-uns de ses sujets, on peut le regarder comme un reste du faste des grands de l’ancienne Rome, qui se faisoient porter par des esclaves, dans une espèce de litière. Étienne II est le premier que l’on ait porté ainsi. Platina, historien des papes, laisse entrevoir que cet honneur fut rendu à Étienne, en considération de son grand mérite. Il se presente ici une question de diplomatique qu’il faut examiner.

Les ministres des princes protestans doivent-ils baiser les pieds du pape ? Les particuliers admis à l’audience du pape lui baisent les pieds. Les ambassadeurs des princes catholiques lui donnent aussi cette marque de respect. Mais il n’est pas décidé que les ministres des puissances protestantes lui doivent le même honneur. Des ambassadeurs de Russie & de Perse l’ont fait, après avoir témoigné quelque répugnance :[1] mais c’étoit dans des conjonctures où leurs maîtres avoient des ménagemens à garder avec la cour de Rome. Les deux exemples qu’on vient de citer ne prouvent rien : l’ambassadeur Russe & l’ambassadeur Persan ne virent peut-être dans ce baiser, qu’une des prostrations dont l’usage est établi dans les cours de l’Orient ; d’ailleurs ils sont contredits par d’autres exemples. Jamais le prince Zizin, fils de Mahomet II, empereur des Turcs, ne put se résoudre à se prosterner devant le pape Innocent VIII qui lui donnoit audience ; & le comte de Voronzow, vice-chancelier de Russie, qui eut une audience du pape en 1746, fut dispensé de tout cérémonial.

La raison paroît décider la question d’une manière négative. On baise les pieds du pape, comme chef de la religion catholique ; & les protestans ne lui doivent pas déférer un honneur attaché à une qualité qu’ils ne reconnoissent point. On ne soutiendra pas que l’on baise les pieds du pape, comme prince séculier ; car la croix brodée sur l’empeigne de ses souliers prouve le contraire, & il est sûr que les honneurs dûs aux princes séculiers comme tels, se règlent sur leur grandeur & leur puissance ; or sous ce point de vue, le pape le céderait aux rois de France, d’Espagne & à beaucoup d’autres princes catholiques ; & loin d’être en droit d’exiger d’eux un hommage qu’il ne leur accorde pas, il seroit dans le cas de leur rendre de plus grands honneurs qu’il ne pourroit en prétendre. Les protestans ne doivent donc point baiser les pieds du pape. Il est bon de dire que ces points de cérémonial n’obligent que ceux qui veulent s’y soumettre, & s’ils ont quelque chose d’avilissant, il est permis de ne pas les observer. Ainsi don Garcias de Silva Figueroa, ambassadeur d’Espagne en Perse, au commencement du XVIIe siècle, eut raison de refuser de se soumettre aux prostrations qu’on exigeoit de lui devant le seuil de la porte du palais des sophis. Cérémonial diplomatique des princes de l’Europe. Science du gouvernement. Droit des gens par M. de Réal. Voyez l’art. Pape, nous y parlerons de l’élection du pape par adoration.

ADRESSE DES CHARTRES ET DIPLÔMES.

Les bulles des papes eurent quelquefois des adresses, à en juger par certaines bulles de Grégoire VII.

Les chartes prirent assez souvent dans les premiers siècles la forme de lettres, & elles eurent des adresses en règle. Au VIIIe siècle les chartes par lesquelles on donnoit un bien aux églises, leur étoient ordinairement adressées. Le plus souvent néanmoins le donateur adressoit sa charte à l’abbé & à la communauté, ou à l’évêque & au clergé.

Lorsque les rois de France dans le XIVe & XVe siècles donnoient des diplômes un peu solemnels, c’étoit par le ministère du conseil ; le chancelier s’y trouvoit rarement pour les sceller, & quoiqu’il y assistât, on avoit coutume au commencement du XIVe siècle de lui adresser le diplôme pour le signer. La formule de cette adresse est singulière : elle est placée à la fin du diplôme après les dates, & conçue en ces termes : Per regem ; ad relationem consilii in quo eratis vos, & le nom du secrétaire ; ou Per concilium in quo eratis vos. Il y a plusieurs raisons de croire que ce vos étoit adressé au chancelier.

Il est probable que ce fut cette adresse qui donna lieu à l’ordonnance de Charles VI, encore régent, d’après laquelle toutes lettres patentes doivent être scellées du grand sceau, & examinées à la chancellerie. Voyez l’artic. adresse en matière bénéficiale du Dict. de Jurisprudence.

Adresse au roi en Angleterre. Les Anglois

  1. L’historien de Thou, liv. LXXIII, sous l’an 1581, rapporte que les ambassadeurs de Jean Basilowitz, grand-duc de Moscovie, schismastiques grecs, eurent bien de la peine à se déterminer à baiser les pieds du pape.