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fait aucun ouvrage, commence à travailler ; elle file par le moyen d’une filière qui est placée à sa lèvre inférieure ; elle tapisse tout l’intérieur de son alvéole de fils de soie fins, un peu plus forts dans la partie supérieure. En même tems, les ouvrières ferment le dehors de la cellule avec un couvercle de cire. Tout-à-fait renfermée, la larve se vuide de ses excrémens, quitte sa peau, qui se fend longitudinalement sur le dos, & se change en une nymphe de la troisième espèce. Cette nymphe est molle, blanchâtre ; en peu de jours elle prend de la force & de la consistance ; son enveloppe tombe, & il en sort une abeille parfaite, qui déchire, avec ses mâchoires, le couvercle de cire de l’alvéole. Dans ce premier moment, elle paroît toute humide. Les autres abeilles la lèchent avec leur trompe, elle-même s’essuie, prend bientôt son essor, & va, sur-le-champ, vaquer aux fonctions auxquelles la nature l’a destinée.

La ponte d’une feule femelle est si considérable, qu’au bout de quelque tems, les habitans de la ruche, devenus trop nombreux, sont obligés d’émigrer. Il s’en sépare une colonie, nommée essaim, & vulgairement jetton, qui va chercher ailleurs un nouveau domicile. Chaque essaim a une femelle, sur qui roule tout l’espoir de la république. Dès qu’une ruche est privée de femelles, les abeilles périssent de découragement & de désespoir, à moins qu’on ne leur rende une nouvelle mère, ou qu’elles ne trouvent promptement à se réunir à une autre ruche.

L’esprit patriotique & républicain des abeilles est si étonnant, les vues qui les animent paroissent si réfléchies, elles sont en même-tems si peu sujettes à varier, que nous pouvons assurer que la philosophie retireroit de grandes lumières de l’approfondissement de ce sujet. Ces ouvrières, privées de sexe, qui chérissent tant celles qui seules propagent l’espèce, tuent elles-mêmes les femelles quand leur nombre augmente & pourroit causer quelque préjudice à la ruche, soit en multipliant trop les émigrations, soit en causant divers désordres par la jalousie.

L’on conçoit aisément la fécondation des abeilles. Dès les premières chaleurs, la femelle s’accouple avec les mâles, & elle pond des œufs féconds, soit de femelles, soit de mâles, soit de neutres. Une marche si conforme aux loix ordinaires de la nature ne sembloit pas pouvoir être révoquée en doute ; mais deux ou trois faits sont venus embarrasser les physiologistes des abeilles.

Un membre de la société économique de Lusace, a d’abord avancé que les ouvrières pouvoient faire éclore une femelle d’une larve sans sexe ; que de trois cellules elles en formoient une seule pour cette larve ; que le seul moyen qu’elles employoient pour faire changer cette larve de destination, étoit de la couvrir abondamment de la gelée préparée pour nourrir les seules larves femelles. D’habiles physiciens ont soupçonné l’observation mal faite. Nous ne pouvons nous empêcher de dire que nous croyons que l’observateur a été trompé par quelque fausse apparence. S’il dépendoit des ouvrières de changer le sort des larves, on ne verroit jamais toute une ruche périr de désespoir. Il s’y trouve toujours des larves de neutres, que les autres ne manqueroient pas de changer en femelles, en leur donnant la gelée destinée à ces dernières.

Un membre de la société de Lautern dans le Palatinat, prétendit, à-peu-près dans le même-tems, avoit vu les abeilles ouvrières, qu’on croyoit sans sexe, pondre des œufs. Ce fait isolé, & qu’on ne savoit comment apprécier, méritoit bien d’exciter la curiosité des physiciens.

M. Debraw se livra avec zèle à l’observation des abeilles ; il fit une nouvelle découverte. Outre les abeilles mâles dont nous avons parlé plusieurs fois, il y a, dans chaque ruche, d’autres mâles plus petits, & très-faciles à confondre avec les abeilles sans sexe communes. Le premier ou le second jour après que la femelle a pondu ses œufs, un grand nombre de ces mâles de petite taille introduisent la partie postérieure de leur corps dans les cellules, s’y enfoncent, & bientôt après se retirent. Par cette manœuvre, ils déposent, dans l’angle de la base de chaque alvéole renfermant un œuf, une petite quantité d’une liqueur blanchâtre, moins liquide & moins douce que le miel. Cette liqueur, à laquelle on ne peut refuser le nom de séminale, est bientôt absorbée, & le quatrième jour la larve sort de l’œuf. M. Debraw s’est bien assuré du sexe de ces abeilles. Il en saisit deux au moment même qu’elles déposoient leur sperme, les reconnut pour des mâles à leur défaut d’aiguillon ; & les disséquant au microscope, il y découvrit les quatre corps cylindriques, renfermant la liqueur blanchâtre & glutineuse, déjà observée avant lui dans les mâles de taille plus grande, dont nous avons parlé ci-dessus.

M. Debraw a fait encore une autre expérience, que nous ne pouvons passer sous silence. Ayant plongé un essaim dans l’eau froide & engourdi les abeilles, il en exclut tous les mâles de grande taille, prit toutes celles qui restoient l’une après l’autre, & les pressa entre ses doigts pour reconnoître leur sexe. Par ce moyen, il vit sortir un aiguillon du corps de la plûpart, fut assuré que c’étoient des ouvrières ; mais il s’en trouva cinquante-sept, de la grosseur des neutres, qui, privées d’aiguillon, rendoient un peu de la liqueur blanchâtre. Il sépara tous ces mâles du reste de l’essaim, qui sortit peu à peu de son engourdissement, & s’acquit ainsi une ruche absolument sans mâles. La reine n’en pondit pas moins sous un rideau formé par les autres abeilles ; mais les œufs ne donnèrent aucun signe de fécondation. Au bout de cinq jours, les abeilles n’ayant aucun espoir de voir la multiplication de leur race, abandonnèrent leur habitation. Elles allèrent attaquer une ruche voisine, pour s’emparer sans doute des mâles. Elles furent malheureusement repoussées, & perdirent même leur reine dans le combat. Le couvain resté de cet essaim