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DISCOURS SUR L’OBJET DE LA MORALE.


les principes de la Morale la plus austère ; ses loix, la longue exécution qu’elles ont eu, les vertus qu’elles ont créées, seront toujours l’un des plus étonnans phénomènes qu’offre l’histoire.

Il n’est pas dans mon objet de retracer tous les principes de morale qui se trouvent recueillis ou consacrés, soit par les législateurs, soit dans les diverses productions du génie. Je ne veux examiner maintenant que ce qui forme vraiment le corps de cette science, que les travaux de ceux qui en ont étendu les progrès, en se dévouant uniquement à elle, de ceux qui, sans ambitionner le frivole honneur des sectes & des partis, ont laissé des écrits que le temps a laissé parvenir jusqu’à nous & qui déposent sans obscurité, sans équivoque de leurs opinions & de leurs sentimens.

Socrate que l’on peut regarder comme le vrai fondateur de cette science, comme celui qui a trouvé la méthode la plus facile & la plus pure de l’enseigner aux hommes, qui a le plus remonté a sa source ; Socrate n’a point écrit, il n’a laissé d’autres monumens de sa sagesse que les écrits de ses disciples, sur tout ceux de Xénophon & de Platon ; l’un & l’autre paroissent animés du même zèle pour la sagesse & pour la gloire de leur maître ; l’un & l’autre ont imité de lui cette méthode simple & facile qui donne la forme d’un entretien agréable aux développemens les plus étendus & les plus importans ; l’un & l’autre ont attaqué l’art des sophistes qui détruisoit la vertu en la soumettant à leurs doutes, à leurs vaines subtilités. Je vais cependant les considérer séparément & observer le caractère de leur génie.

Platon.

Socrate s’étoit attaché à montrer aux hommes la sagesse dans son véritable jour, c’est-à-dire, douce, bienveillante & facile. Platon a porté ce destin plus loin, il a orné le langage de la sagesse de tous les charmes de l’imaginatiun, de tout l’éclat du style le plus


noble & le plus pur. En s’attachant a détruire l’empire de la poésie qu’il jugeoit dangereux aux mœurs & à la liberté, Platon s’est montré jaloux de lui dérober tous ses agrémens ; souvent il substitue de nouvelles fictions aux fictions profanes par lesquelles la poésie offre quelques vérités à travers un voile qui séduit plus que ces vérités mêmes. Platon aime à parler le langage de l’allégorie, mais son imagination en s’abandonnant trop à ce charme naturel, obscurcit souvent la vérité au lieu de l’éclairer, au lieu de la présenter sous une lumière plus vive ; il enfante un système avec la même facilité qu’une allégorie ; souvent il semble consacrer toutes les images qu’il a créées, il les prend pour la vérité même.

Son célèbre dialogue sur l’amour, fournie la preuve de chacune de ces observations, il veut écarter une ivresse dangereuse, il veut amortir l’effet d’une passion brûlante, il en fait une passion nouvelle, il la compose de nouveaux élémens, il la crée selon le vœu de sa raison & le penchant de son imagination & non pas selon le vœu de la nature. Tout son art n’a servi peut-être qu’à donner à cette passion des charmes de plus sans détruire aucun de ses charmes réels, aucun de ses véritables effets. Le préjugé trop accrédité parmi nous, qui regarde le système de Platon comme une froide rêverie, annonce combien cette passion a déjà perdu parmi nous des illusions qui la décorent & l’embellissent. Platon n’a fait que retracer les plus belles de ces illusions, mais son erreur est de les avoir prises pour cette passion même, & de l’avoir borné à ces seuls effets.

Lorsque Platon suit moins l’essor de son imagination, il est un moraliste profond & vrai ; il est peu d’hommes de génie qui ne se soit accoutumé à puiser dans ses écrits les observations les plus justes ; on puise dans les écrits du divin Platon le nectar de la sagesse ; il est moins attaché à peindre les hommes tels qu’ils sont au milieu de leurs institutions bisarres & de leurs préjugés absurdes, qu’à les concevoir tels qu’ils seroient