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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Strabon, sous Auguste, met le prix des bons béliers en Espagne, à un taux excessif ; Columelle, sous Claude, écrit qu’on les alloit chercher sur les côtes d’Afrique, & attribue à Marcus son oncle, d’y avoir propagé la belle race. Le premier dit, qu’anciennement les Romains tiroient leurs belles étoffes de l’étranger ; mais que depuis la conquête de l’Espagne, ils ne sortoient point de l’étendue de leur domination pour s’en procurer. Le dernier assure que les laines de la Gaule font les plus belles du monde, nunc Galliœ ( oves ) pretiosiores habentur.

On avoit en Lithuanie, comme aux environs de Pézenas & en Egypte, des laines lisses comme le poil de chèvre, qui étoient très-propres au tissu à mailles. On en avoit de diverses couleurs naturelles ; & l’on eut à Rome la curiosité & le luxe d’en teindre sur le dos de l’animal, soit en pourpre de murex, soit en graine d’écarlate, soit en couleur violette, extraite du conchylium ; opération inconnue parmi nous, & qui prouve la méprise de divers Auteurs qui ont prétendu, que, ni la pourpre, dont on dit les Phéniciens inventeurs, ni celle de Gétulie & de Laconie, très estîmée, quoique très-inférieure à la Tyrienne, n’étaient point applicables sur la laine, le poil & la soie ; & qui en concluent que toutes les étoffes teintes des extraits de coquillages, étoient de coton.

Le fait & la conséquence sont également faux. De ce que les habitans de Panama connoissent le murex, en teignent des toiles de coton & des fils de plantes dont ils font un commerce quelconque, il ne s’ensuit pas que ce soit exclusivement aux matières animales ; & quand cela serait, c’est qu’ils n’en veulent ou n’en savent pas davantage ; mais on n’en peut rien conclure pour les anciens, qui surement savoient bien des choses que nous ignorons, entre autres, teindre en pourpre avec les coquillages, & en écarlate, avec le coccus, kermès, fruit d’yeuse, graine d’écarlate ou vermillon, le lin, le coton, la laine & le poil de chèvre, matières toutes également indiquées par les Historiens profanes & les Historiens sacrés, soit en vêtements susceptibles du lavage, sans altération de couleurs, soit en tapis, en meubles de toute espèce, en voiles de vaisseaux, telles celles de la flotte d’Alexandre, voguant sur l’Indus, & long-tems après celles de la galère de Cléopâtre, remontant le Cydnus.

Si l’on vouloit bien se rappeller que les Romains n’étendirent leur Empire que par les armes ; que des monstres le gouvernerent pendant une suite de siècles ; que l’Europe ne fut affranchie de leur domination, que pour tomber sous celle de peuples moins corrompus, mais plus barbares ; que les croisades, aussi funestes à l’Occident que la guerre de Troye l’avoit été à la Grèce, amenèrent parmi nous, avec les vices & les maladies, la féodalité qui nous jetta dans une ignorance toute autrement brutale que celle des Pélasges au tems d’Inachus ; si l’on pouvoit concevoir qu’il suffit d’une semblable période pour effacer les Arts de la mémoire des hommes, & que la corruption,