Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/32

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dination à des chefs : l’obéissance est supportée parce que des sentiments de déférence la facilitent et qu’on y voit une condition du travail collectif. Il y a plus. Dans toute opération sociale, agriculture, travail aux mines ou dans les manufactures, construction, navigation, commerce, éducation, soins médicaux, administration, alors que l’individu ne compte d’abord que sur un service plus ou moins pénible compensé par une rémunération, il se trouve à de certains moments engagé par les exigences de l’œuvre qui doit aboutir, non seulement à un effort exceptionnel, mais à des risques avec lesquels aucune rémunération ne saurait être mise en balance. Ces risques ne lui déplaisent pas, d’ailleurs ; ils sont l’honneur du métier ; ils donnent à l’ouvrier de l’atelier national — ne sommes-nous pas tous de tels ouvriers ? — la conscience de sa solidarité avec tous les autres mieux que toute considération de doit et avoir, et cette conscience a pour lui un charme tragique. Le Breton aime la mer parce qu’il en connaît les périls. Ainsi, toute activité sociale un peu intense entraîne — il faut dire les choses comme elles sont — une consommation d’hommes qui perd, du reste, tout caractère odieux, quand ces hommes vont d’eux-mêmes, et c’est le cas le plus fréquent, au-devant des risques encourus. Là est le fond de la morale dont nous parlons ; engagé dans la société par une contrainte initiale très faiblement consciente ou pas du tout, l’individu se trouve peu à peu entraîné au don volontaire de sa personne à la personne sociale. Il y a deux siècles cette personne était symbolisée par le roi, comme dans la cité antique elle était symbolisée par les dieux. Maintenant, elle obtient sans images, directement, ce don volontaire. Et qui donne l’ordre du sacrifice ? Le hasard des circonstances. Tel chauffeur d’un torpilleur récent est de service le jour des essais : c’est son tour, il ne réclame pas. Tel étudiant en