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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/13

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dis terrestre. J’y possède depuis 1852 une assez belle propriété que je vais voir chaque année. Elle a nom la Liriays, comme plusieurs châteaux de l’ouest de la France. J’avoue que ce nom n’a pas été étranger à mon envie de l’acquérir. Le château de Santillane s’appelait Lirias, et ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai fantaisie de ressembler à Gil-Blas.

Mes premiers souvenirs me montrent à moi-même pauvre petite enfant de cinq à six ans, chélive et maigre. La grande route est boueuse ou couverte de neige. Je me vois courir après la diligence de Rennes à Caen, qui passait devant Saint-Lud ; je me vois tendre la main en criant à perdre haleine le refrain de la mendicité bas-normande :

« Charitais, s’i vous plaît,
Pou l’amou di bon Diais ! »

À un gros quart de lieue de Saint-Lud, après qu’on a passé le ruisseau du Rioux, affluent de la Vire, la côte commence. La montée est rude. C’est là que je rattrapais la diligence ; la malle-poste elle-même était forcée de m’attendre en ce lieu.

Ce n’était pas pour moi que je demandais ; j’avais ma tâche tracée. La Noué gardait les vaches dans la prairie, au-dessous de la route. Il ne s’agissait pas de faire à moitié son devoir. La Noué avait des yeux de lynx. Si je ne fatiguais pas de mes supplications tous les compartimens de la diligence, la Noué me battait au retour avec la heude de Gorette.