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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/15

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illustres Gaudissart, faisant dans les rubans ou dans la quincaillerie, j’étais obligée de monter en courant et en m’égosillant jusqu’au haut de la côte. Ils me montraient leur sou par la portière, les cruels, et répétaient en copiant mon pauvre accent :

« Charitais, s’i vous plaît,
Pou l’amou di bon Diais ! »

Ils ne lâchaient leur sou qu’au moment où attelage prenait le grand trot pour redescendre la montée. Moi, je tombais sur la terre, haletante, essouflée. — Mais je n’y restais pas longtemps.

La voix mâle de la Noué se faisait entendre dans la prairie :

— Suzette ! reste de bâtard !

C’était le plus doux de ses appels.

Je reprenais ma course. Elle m’attendait au pont, sur le Rioux. Je crois la voir encore, après tant d’années écoulées, sèche, grande, mal bâtie, portant sur ses cheveux rudes un long bonnet de coton blanc à mèche bleue, la figure jaune, le nez rouge et noir, — tenant sa quenouille au côté comme une arme.

— Combein qu’ t’as ïu, faillie ?

Question sacramentelle qui jamais ne variait.

Au lieu de répondre, je vidais ma pochette dans son tablier. Cela ne lui suffisait pas. Elle n’avait pas confiance. Elle me fouillait chaque fois avec un soin minutieux.