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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/17

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Ma grêle bien pleine et qui m’écrasait la tête, malgré la torche protectrice, valait un sou, prix courant.

J’aimais ce métier-là, qui était ma liberté. Pour emplir la grêle, il fallait aller loin parfois, et la Noué ne pouvait pas quitter ses trois vaches.

Quand je tournais le coude de la grand’route, et que je n’apercevais plus son terrible bonnet de coton dont la mèche flottait sur sa casaque d’un rouge terni, mon petit cœur se prenait à battre. J’étais enfant, j’étais heureuse, je m’en allais sautillant et courant, cassant de belles branches d’aubépine, faisant des pelotes de coucous, cueillant des pommes vertes ou des prunelles de haies.

La campagne est si bonne aux petits pauvres ! Dieu leur a mis des jouets partout dans ses champs.

À moitié chemin de la loge de la Noué, au hameau de Saint-Lud, derrière un bouquet de hêtres, il y avait une grande masure, bâtie en boue, mais dont les murailles étaient fraîchement blanchies à la chaux. On l’appelait le lieu du Theil. Elle était habitée par le bourrelier Guéruel qui était le maître de mon parrain.

Mon imagination ne rêvait point alors de palais plus splendide que la maison du Theil avec sa toiture d’ardoises grises, ses fenêtres inégales et son jardin planté de choux à vaches, hauts comme des arbres. La Noué n’avait jamais voulu me mener jusqu’à Vire.