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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/23

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MADAME GIL BLAS

— La Gorette avec ses cornes, répondis-je.

Il s’élança et prit sa course en disant :

— Je vais tuer la Gorette !

Je ne pus l’arrêter qu’en lui rappelant, les larmes aux yeux, que la Gorette avait été ma nourrice.

Gustave savait lire un peu. Le vicaire du bourg de Viessois, qui venait dire la messe à la chapelle de Saint-Lud, l’avait pris en affection : c’était un tout jeune prêtre, d’une angélique douceur, aussi pâle et aussi maigre que moi. Il se nommait l’abbé Dandel. Son revenu était de quatre cents francs par an, plus ses messes. Son curé lui prenait cinq cents francs pour son logement et sa pension… Quand je fus plus grande, je fis bien souvent des reprises à sa pauvre soutane.

Gustave restait avec moi dix minutes dans le bosquet. C’était juste le temps de m’embrasser cent fois. Quand il m’avait bien regardée et caressée, il me disait :

— Voici encore un jour de passé, Suzanne.

— Et ça doit approcher notre mariage, répondais-je de bonne foi.

Il souriait, il me donnait un dernier baiser et s’enfuyait à toutes jambes.

Moi, je reprenais ma torche et ma grêle, et je continuais loyalement mon métier de bousière. Quand je repassais devant les beaux poiriers d’étranglard, je criais, sans me retourner :