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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/26

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le breuvage précédemment décrit : cidre bouillant, miel, poivre. On y ajoute des tranches de pain noir, un morceau de beurre et un tantinet d’eau-de-vie. Les poires d’étranglard ne sont rien à côté de ce potage à l’ambroisie, dont l’odeur seule renverserait un bataillon de civilisés.

La Noué avalait sa teutée, sauf quelques cuillerées qui étaient le déjeûner du bonhomme. Moi, je mangeais un talon de pain noir. Jusqu’à neuf ou dix heures, je menais les vaches paître sur la marge de la grande route, pendant que Scholastique labourait son petit champ ou battait son beurre. À onze heures, la première diligence passait, et je commençais mon double office de mendiante à la course et de bousière.

Trois ans se passèrent ainsi, depuis ma sixième jusqu’à ma neuvième année. On me connaissait bien au hameau de Saint-Lud, parce que la Noué me menait à la messe chaque dimanche. On disait, en nous voyant passer : La Noué n’est pas riche, mais avec sa quenouille et ses trois petites vaches, elle trouve moyen de nourrir son vieux père et la fille de la diote'.

Ces paroles souvent répétées entamèrent mon éducation. Je compris vaguement que le monde aimait à se laisser tromper. Je n’en conçus ni mépris ni rancune, parce que son erreur m’était absolument indifférente. La Noué ne m’inspirait point de haine.

Vers cette époque, une double idée naquit en