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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/31

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MADAME GIL BLAS

qu’on renouvelle de temps en temps la motte de gazon et qu’on mette dessous une bonne pierre.

J’arrivais à ma dixième année, lorsqu’un changement se fit dans mon existence jusqu’alors si uniforme. Un matin, la Noué mit ma torche et ma grêle sur la plus haute planche du dressoir et me dit :

— C’est toi qui garderas les vaches aujourd’hui.

Je pensai tout de suite à Gustave et à notre rendez-vous quotidien, mais il fallait obéir.

À midi, la Noué mit son mouchoir de cou des dimanches et fourra une pièce blanche dans sa poche, ce qui ne lui arrivait jamais. Elle sortit. Je la vis monter la côte à longues enjambées, puis disparaître au tournant de la route. Je conduisis les vaches à la prairie. C’était la première fois que je passais un jour tout entier sans voir Gustave. Je pleurai bien. Comme j’avais les yeux rouges, la diligence, attendrie, me donna plus qu’à l’ordinaire, et je mis cinq sous dans ma cachette.

À la brune, je vis la taille haute et dégingandée de la Noué au sommet de la côte. Elle me jeta un petit gâteau dans la prairie et me fit un signe de tête presque amical. Elle était contente. Elle ne fila point de toute la soirée et donna du cidre chaud au bonhomme étonné.

Je remarquai que son haleine empestait l’eau-de-vie.

Le lendemain, elle mit encore son beau mou-