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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/51

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MADAME GIL BLAS

Guéruel le regarda tout surpris. Gustave continua :

— Patron, j’ai voulu vous causer pour laffaire de lenterrement du bonhomme : je n’y assisterai pas ; mais je veux le payer.

— Tu n’assisteras pas à l’enterrement de ton père ! s’écria le bourrelier.

Dans la campagne bas-normande, on fait des procès à son père vivant ; mais quiconque se dispense de le conduire au cimetière après sa mort est un infâme. Il est permis de boire tout le long du chemin, pourvu qu’au bord de la fosse on se prenne les cheveux à poignée en criant d’un ton lamentable :

— Héla ! Héla ! nout’ pau’ bonhomme, c’est donc pou’tant dire toujou qu’an n’te voira pus ni d’dans, ni d’hors, ni à malin, ni d’vesprée ! T’es là mes’huy pou dique à jamais, nout’ pau’ bonhomme de père ; libera nos a malo, amen !

On est en règle après cela, et l’on peut reboire en attendant le repas des funérailles.

Gustave répondit :

— Dans une heure, cette petite fille-là et moi, nous serons en route.

— Pour où aller ? demanda le bourrelier. — Ici ou là, peu importe… Suzanne ne peut pas rester avec ma sœur… Je n’ai pas voulu vous quitter sans parler avec vous, patron. Regardez-moi bien dans le blanc des yeux… pour dire à ceux qui jaseront : Guste était un honnête