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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/57

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MADAME GIL BLAS

Nous nous arrêtâmes au lieu de Moraine pour déjeûner : deux sous de pain, deux sous de beurre, deux sous de cidre ; un fier repas et qui nous remit bien le cœur, puisqu’en sortant du hameau nous dansions bras-dessus bras-dessous le long de la route.

Gustave n’avait point demandé d’ouvrage à cette première halte. C’était trop près de Saint-Lud.

Il faisait brun déjà quand nous arrivâmes au gros bourg de Viessois, où la route de Caen se sépare du chemin de Falaise. J’étais rendue de fatigue et de faim. Gustave avait les deux épaules meurtries du poids de mon trésor.

Une auberge assez proprette, devant laquelle stationnaient bon nombre de carrioles, balançait son enseigne au vent : À la descente des maquignons, bon logis à pied et à cheval. Là-bas, ce mot de maquignon est loin de passer pour un terme de mépris ; il désigne une classe très nombreuse d’industriels campagnards, qui ont beaucoup de savoir-faire et peu de préjugés. C’est l’aristocratie d’argent des hameaux bas-normands.

Nous nous arrêtâmes devant l’enseigne que Gustave venait de déchiffrer à haute voix. J’étais d’avis d’entrer ; mais Gustave, que j’avais vu si brave, si véritablement homme en face de maître Guéruel, me sembla pris d’une hésitation inexplicable. Il était rouge ; ses yeux allaient de droite à gauche.