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Page:Féval - Madame Gil Blas (volumes 1 à 4) - 1856-57.djvu/63

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MADAME GIL BLAS

se pencha derrière mon épaule et dit à Gustave en clignant de l’œil :

— On est bien embarrassé, comme ça, quand on voyage tout seul, monsieur Lodin ?

Gustave tressaillit en s’entendant appeler par son nom. Moi-même je ne réfléchis pas que la fille d’auberge venait de le prononcer à haute voix.

— Vous me connaissez, vous ? demanda Gustave.

— Je vas et je viens, répliqua le petit vieux ; les affaires sont si crevantes !… Ici et là… de droite et de gauche… on gagne son pain, pas vrai ?… Je connais bien du monde à Saint-Lud… et le père Lodin m’a vendu plus d’une génisse en sa vie.

Gustave, qui portait la première bouchée à ses lèvres, la remit sur son assiette.

— Il ne vous en vendra plus, dis-je tout bas.

— Il est mort ! prononça solennellement le bonhomme qui ôta son chapeau, découvrant ainsi une tête longue et jetée en arrière où se collait un vieux bonnet de soie noire ; — que Dieu lui fasse paix ! — C’était un chrétien !… Si vous lui aviez parlé du vieux Gilles Macé, du bourg de Campagnolles… Mais nous nous en irons tous, mes bénis enfans… et moi plus tôt que vous. Le principal est de songer à cela pour ne jamais mal faire.

Il but un petit coup et se tailla une mince bouchée de lard qu’il mit sur un gros carré de pain.