Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/10

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276 LA SYLPIIIDE. litique et donnait son aide au chevalier d'Avaugour, dans la persuasion que celui-ci, une fois dé- barrassé de ses rivaux, modifierait ses prétentions. Jean de Rieux tenait Rollan Pied-de-Fer en haute estime; seul, il eût pu dire les grands services que le courrier rendait à la cause bretonne! Julien d'Avaugour quilta Paris vers la fin de 1647, Il avait hate de se rapprocher de Reine, dont il n'avait point eu de nouvelles depuis un au; il voulait aussi compter par lui-même ses partisans, et engager au besoin la bataille. La cour n'avait pas le moindre soupçon de ses desseins: M. le cardinal était trop empêché pour songer aux diverses factions qui se partageaient une province éloignée; pour les gens de la Fronde, ils eussent été plus disposés à servir les ré. voltés qu'à préter leurs épées pour réprimer la rébellion. Le moment était donc favorable. Rollan Pied-de-Fer avait précédé le chevalier de quelques jours. Il était chargé du jeune fils de Reine de Goello, qu'il confia, comme nous avons vu, aux soins de la dame Marker et de sa fille Anne. Une fois entrés dans la province, M. d'Avaugour et Rollan rompirent, en apparence, tous rapports. Le courrier, dont la popularité était immense dans les bourgs et petites villes de la basse Bretagne, devait passer jusqu'au dernier moment pour un zélateur pur de l'association, non pour l'affidé de l'un des. prétendants. Une seule fois, il eut un entretien avec son frère de lait; ce fut à Rennes, et pour le mettre en garde contre le commandeur qui savait tout. Ensuite, Rollan, dans son infatigable zèle, partit et poursuivit l'accomplissement de sa tache. Il ne devait plus revoir Julien d'Avaugour. Le lendemain, un messager du commandeur arriva à Rennes, où Julien gardait encore l'in- cognito. Il portait une lettre pleine d'assurances amicales et de caresses: Gauthier de Pennelox suppliait Julien de le venir trouver au château de Goello, et lui donnait à entendre qu'il désirait ardemment faire alliance avec lui pour le bien de la cause commune. Le chevalier, confiant comme toutes les, âmes généreuses, se mit incontinent en chemiu: Il fut reçu à bras ouverts; il vit Reine, les yeux du commandeur semblaient rayonner de bonhomie en contemplant l'accord des deux jeunes gens. Le second jour, il y eut au château assemblée générale des seigneurs- membres de l'association. Jamais on ne vit plus forte et vaillante réunion; on eût dit une élite faite exprès dans les états. Après un conseil, où pas un miol ne fut prononcé touchant la rivalité du commandeur et de Julien, ce dernier fut investi, à l'unanimité, des fonctions de chef pro- visoire, avec le titre de connétable de Bretagne; on lui en fournit sur l'heure lettres patentes. En mėme temps il reçut mission de retourner à Paris pour négocier un emprunt près de MM. de Rohan. Sur le point de se séparer, l'assemblée prêta serment entre les mains de messer Yves de Gevezé, évêque de Dol. Julien voulait monter incontinent à cheval, mais le commandeur affecta un tel ravisserment de le voir à la tête des affaires de sa province, il s'expliqua avec tant d'indignation sur le prétendu mauvais vouloir que certains lui prêtalent, à l'encontre de son aimé cousin d'Avaugour, que le che- valier se luissa persuader: tous les seigneurs partirent; lui seul de:neura au château de Goëllo. Gauthier de Penneloz l'accabla de courtoises attentions, et montra dans sa conduite une defi- rence qui semblait presque du respect. Quand le spir fut arrivé, au moment où Julien parlait déjà de se mettre définitivement en route, le commandeur le prit par la main en souriant et le conduisit à l'appartement de Reine. --Mon cousin, dit-il avec douceur, la tendresse toute paternelle que m'inspire ma noble pupille m'a rendu clairvoyant. Peut-être avais-je droit, de sa part et de la vôtre, à plus de confiance. Vous n'avez pas cru devoir me faire d'aveus; je ne vous en blame poiut, mais j'ai deviné votre -secret: vous vous aimez, Reine rougit et baissa les yeux; Julien regarda le commandeur avec une inquiétude mena çante. Celui-ci continua en adoucissant de plus en plus son sourire : 4 A quoi bon feindre encore? vous m'avez mal jugé, mon cousin d'Avangour, et vous, Reine, vous me faites une cruelle injure. Votre bonheur a toujours été mon soin le plus cher. Jadis, j'avais espéré... Mais ne parlons point de moi... Me voici prêt à consentir à votre union. Julien se précipita et serra la main de son généreux rival; Reine, confuse, mais radieuse, pou- vait à peine croire à tant de bonheur, -Pardieu! monsieur de Kermel, s'erria Julien, nous avons manqué de confiance en effet, mais je veux mourir si pareil reproche peut nous être adressé à l'avenir... Et tenez, il faut que vous le sachiez tout de suile, Reine est dame d'Avaugour devant Dieu. Nous fumes dumont mariés par un prêtre, lors de votre séjour à l'aris. Une paleur subite et fugitive monta au front du commandeur de Kermel; mais il ne pordit point son sourire. - Enfants dit-il d'une vois paternelle; et c'est de moi que vous vous cachiez ! Source gallica.onf.fr/Bibilothèque nationale de France