Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/11

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Reine avait les yeux pleins de larmes. LA SYLPHIDE. Oh! merci! dit-elle; merci et pardon, Monsieur! 277 Pardon en effet, mille fois, et de grand cœur, Monsieur mon cousin, reprit Julien. Puisque désormais vous voulez bien ne point y mettre obstacle, je déclarerai publiquement notre mariage au retour, et mon fils viendra tenir sa place au château de Goéllo. -Votre fils s'écria vivement le commandeur. Ses sourcils, qui s'étaient involontairement froncés, l'éclair de haine et de courroux qui brilla tout à coup dans son regard, auraient pu donner l'éveil au chevalier, si, tout entier à sa joie, il n'eût été occupé à baiser amoureusement la main de sa jeune fenime. Gauthier de Penneloz fit sur lui-même un effort violent, et reprit aussitôt son masque. Le sang de Vertus, dit-il en s'inclinant, sera toujours reçu comme il convient au château de Goello... A bientôt donc la fête des épousailles, mon cousin d'Avaugour! Les deux rivaux se donnèrent une chaleureuse accolade, et Julien, achevant de s'armer, des- cendit le grand escalier du château. Il était alors nuit close. Le chevalier partait sans suite, de- vant retrouver ses équipages à Rennes. Reine de Goello regagna son appartement et ouvrit sa fenêtre pour saluer son époux d'un dernier adieu. Elle avait entendu bruire les chaines du pont-levis; le pas d'un cheval avait fait résonner les poutres suspendues au-dessus du saut des Vertus; cependant, son regard parcourut en vain le tertre; nul cavalier ne se montrait aux alentours. Seulement, lorsque le pont se leva de nouveau, une forme svelle, se detachant d'un massif d'arbres, descendit rapidement la colline : Reine crut reconnaître la tête rasée et la taille étranglée du courrier Rollan Pied-de-Fer. Depuis lors, on n'entendit plus parler de Julien d'Avaugour. Cette disparition donna d'abord au commandeur un grand poids dans les assemblées des Frères Bretons; mais, bien qu'il fut po- litique passable et bon homme de guerre, il n'avait su se concilier ni l'estime ni l'affection gene- rale. En outre, les deux grands projets qu'il méditait depuis si longtemps échouérent : ne pou- vant appuyer sa demande en sécularisation de ses véritables motifs, il vit son instance formelle- nient repoussée à la cour de Rome; pour Reine, dès qu'elle put comprendre que la volonté du commandeur n'avait pas changé, qu'il l'avait trompée et qu'il voulait l'épouser, elle le bannit de sa présence, en le menaçant de réclamer la protection des états. Gauthier de Penneloz, comme on a pu le deviner, n'était rien moins que loyal de sa nature; l'insuccès lui fit briser toutes digues, et le jela dans un labyrinthe d'intrigues el de trahisons. A l'époque où commence notre histoire, toujours lié d'apparence aux Frères Bretons, il se proposait déjà de vendre leurs secrets, si la cour de France voulait y nietire un prix convenable. La confrérie, privée de son chef principal, et n'ayant plus, en réalité, pour essayer la cou- ronne ducale que la tête d'une jeune femme de dix-neuf ans, était donc bien près de sa ruine. Les conjurés s'étaient adressés aux seigneurs d'Acérac et de Sourdéac, ainés de Rieux, puis au sire de Chateauneuf; mais les Rieux, ces véritables hauts barons, qui n'avaient point, comme les Rohan, d'outrecuidantes devises à leur écusson, savaient faire tout ce que disaient vaniteusement leurs rivaux. Prince ne daigne! répondirent-ils. - Le zèle se refroidissait de toutes parts; Rollan Pied-de-Fer avait beau annoncer le retour du chevalier d'Avaugour, l'association perdait insensiblement ses plus forts soutiens; Rollan lui-même savait mieux que personne à quoi s'en tenir sur le sort de son maître, et poursuivait sa tâche sans espoir de réussir. Lui seul'aurait pu remplacer le chevalier; mais le moyen d'imposer un paysan pour chef à tant de seigneurs 1 Jean de Rieux, dont l'âme noble et grande était faite pour ap- précier le patient dévouement du courrier, le traitait avec une considération mêlée de respect; mais les autres gentilshommes, membres de l'association, ne le connaissaient pas; ils s'étonnaient même fort d'entendre le sire de Châteauneuf vanter à tout propos les services d'un simple vilain, el dire que le jour où, par déplorable fortune, Rollan serait appelé en l'autre monde, c'en se- rait fuil de la ligue des Frères Bretons, >> Jean de Rieux avait raison, et sa confrérie n'en était que plus malade, suivant toute apparence. Nous avons vu, en effet, Rollan se précipiter dans un gouffre sans fond, tandis que sou rustique adversaire ré citait pieusement un de Profundis à son intention. Corentin avait cru sans doute faire une bien méchante plaisanterie en lui appliquant le dicton populaire : Il n'en reviendra que gentilhomme Mais, cette fois, le hasard devait choisir le côté merveilleux de l'oracle pour l'ac- complir à la lettre non-seulement le courrier revint de son ténébreux voyage;-il revint gentil- honime. La suite à la prochaine livraison. Supplément à la 18 livraison. PAUL FÉVAL Source gallica bnifry Bibliothèque nationale de France