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ROLLAN PIED-DE-FER[1].

III.



A

près avoir traversé, non sans laisser çà et là des lambeaux de ses vêtements et de sa peau, l’épaisse voûte de broussailles qui masquait les profondeurs du saut des Vertus, Rollan se sentit parcourir encore une distance considérable. Sur le point de perdre connaissance, il s’accrocha machinalement à une pointe de roc faisant saillie dans le ravin ; son poids, joint à l’irrésistible élan que lui donnait la hauteur du saut, l’entraîna ; ses doigts déchirés lâchèrent prise ; il s’évanouit. Ce fut néanmoins cet incident qui, suivant toute probabilité, le sauva d’une mort certaine : le roc était distant de terre de quelques toises seulement ; son effort, rompant la violence du saut, empêcha Rollan d’être broyé sur le coup.

La nuit entière et une partie du jour suivant se passèrent avant qu’il eût repris ses sens. Il s’éveilla enfin, meurtri, glacé, incapable de se mouvoir. Il était étendu, la face contre terre ; ses pieds plongeaient dans un courant d’eau vive qui traversait avec fracas le souterrain. D’abord il se crut le jouet d’un rêve bizarre et pénible ; mais le souvenir lui revint peu à peu : quand ses yeux se furent habitués au jour douteux qui régnait dans la caverne, il vit l’eau bouillonner à ses pieds ; levant la tête, il vit encore à une immense hauteur, perpendiculairement au-dessus de lui, une étroite bande, faiblement lumineuse : c’était le fossé de Goëllo, l’endroit d’où il s’était précipité la veille.

Son premier soin fut de retirer ses pieds de cette eau glaciale qui les paralysait ; à mesure que la chaleur revenait, il se sentit reprendre quelque force ; avec la force, revint l’amour instinctif de la vie et le désir de quitter ce tombeau. Malheureusement, ceci n’était point chose aisée : Rollan, avant même de se lever, put deviner que le gouffre n'avait pas d’issue. En effet, à voir les parois s’excaver, puis se rapprocher en voûte au-dessus de sa tête, il dut reconnaitre qu’il était là dans une vaste salle ou rotonde souterraine, autrefois complétement couverte. L’espace occupé maintenant par le saut de Vertus était plein alors, et formait comme la clef de voûte ; la clef enlevée, les parois demeuraient debout à cause de leur adhérence au sol ou par toute autre raison : les règles de l’architecture humaine ne font point loi pour ces grandioses palais qu’a bâtis la main de Dieu. Bien que suffisamment logique, cette déduction n’était rien moins que rassurante. Rollan,

  1. Voir page 273.