Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/13

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290 LA SYLPHIDE. galvanisé par l'horreur même de sa situation, essaya de se lever, et réussit à grand effort. Le sol où il était tombé était une sorte de litière, formée à la longue par les branches mortes et les feuilles sèches du dôme de broussailles, ce qui n'avait pas peu contribué à amortir le choc. Rollan, utilisant cette découverte, songea tout de suite à se procurer du feu pour éclairer ses recherches et réchauffer ses membres transis. Un briquet est meuble de courrier; celui de Rollan ne le quit- tait jamais; il amoncela des branches sèches, et bientôt une épaisse fumée, suivie d'une flamme brillante, s'éleva vers l'issue supérieure. Ceux qui gravirent ce jour-là le tertre de Goello du- rent croire que l'enfer faisait orgie au fond du saut de Vertus. La vue du feu rendit courage à Kollan, mais ne l'avança point autrement. La lumière tombait d'un côté sur les parois noires et velues de la caverne, de l'autre, elle se perdait dans le vide; çà et là, des plaques de salpêtre scintillaient dans le lointain; l'eau qui passait en mugissant près de lui était un fort ruisseau pide et profond. Rollan y fit alors peu d'attention, empressé qu'il était de visiter son domaine. Il saisit une branche enllammée d'une main, de l'autre, une fascine, afin de renouveler son luminaire, et marcha en remontant le cours du ruisseau. Il ne fit ainsi que quelques pas; bientôt ses genoux fléchirent, le bois allumé s'échappa de sa main: il venait de heurter du pied un tas d'ossements. ra- Si Rollan eut conservé jusqu'alors un doute sur la fin violente du chevalier d'Avangour, ce doute se fut évanoui. D'un coup d'oeil, il reconnut l'épée de son seigneur ; les vêtements, à demi pourris, n'étaient point non plus méconnaissables. Près de Julien gisait le squelette disloqué de son cheval. Deus larmes sillonnèrent lentement la joue pale du courrier, 1 Mou frere!... mon maitre! murmura-t-il d'une voix entrecoupée. Puis il se mit à genoux, Mon Dieu s'écria-t-il avec ferveur, permets que je revoie le jour, et je le vengerai ! Il baisa passionnément l'épée et la mit à sa ceinture; pour les vêtements, il les traina jusqu'au- près du foyer. Tandis qu'il les examinait, un étui de métal sortit de l'une des poches du pour- point et roula à terre; Rollan le saisit et fit jouer le ressort. L'étui renfermait tous les papiers du malheureux jeune homme, ses titres, et aussi les lettres patentes qui lui conféraient la première place parmi les Frères Bretons. Rollan contempla longtemps les parchemins que leur enveloppe avait conservés intacts; il s'était assis et avait mis sa tête entre ses mains; son active intelligence travaillait. Tout à coup, son cell morne et abattu brilla d'un singulier éclat; une expression de joie se répandit sur son visage. - Je l'oserai ! s'écria-t-il. Et Dicu ne me punira point, car mon but est légitime : j'avais juré de servir de père à l'orphelin. Mais son enthousiasme fut aussi passager que soudain; sa tête retomba lourdement sur sa poi- Irine. - Je l'oserai, répéta-t-il amèrement; insensé! il faut vivre pour oser; suis-je donc encore au nombre des vivants? La souffrance physique rend faible contre le désespoir; Rollan, dont tout le corps n'était qu'une douloureuse meurtrissure, n'essaya point de combattre l'abattement qui s'emparait de lui; il s'affaissa près du foyer et s'endormit. Quand il se réveilla, uue fumée suffocante remplis- sait la caverne; la flamme, rencontrant partout des aliments, avait gagné de proche en proche ; Kollan se trouvait entre le torrent et un vaste incendie. Il mesura son danger d'un ceil froid. La mort, qui se présentait à lui prompte, instantanée, n'avait certes point de quoi l'effrayer, comparée au lent supplice qu'il avait naguère en perspective. Les ténèbres avaient disparu; il put recon- nattre l'impossibilité de franchir le ruisseau d'un bond. Cependant l'incendie le gagnait; le sol brûlait ses pieds; il assura le rouleau à sa ceinture, recommanda son âme à Dieu et entra dans l'eau. Au premier pas, il perdit plante; le courant s'empara de lui aussitôt ; tout ce qu'il put faire, bon nageur qu'il était, fut de se soutenir à la surface. Il se sentait emporter avec une fongue irrésis- tible, el s'attendait à chaque instant à être broyé contre quelque obstacle. Bientôt, caverne et in- cendie, tout disparut à son regard; le torrent se précipilait, écumant, dans une gorge étroite. Rollan, plongé dans l'obscurité la plus complète, nageait toujours; parfois sa tête frôlait la vonte humide du passage souterrain, tant le courant resserrait son lit. Il en était à se demander s'il con- tinuerait de lutter contre un trépas désormais inévitable, lorsque la voûte s'élargit tout à coup; un vent frais vint frapper Roilan au visage; il entendit au loin le bruit d'une cascade. A peine avail-il eu le temps de se réjouir de ces symptômes, que le torrent, redoublant de vitesse, le roula parmi ses flots bouillonnants jusqu'à la chute. Il tomba, et se trouva aussitôt dans une eau calme et profonde. Source gallica.bnf.fr/ Bibliothécue nationale de France