Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/14

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LA SYLPHIDE. 291 Malgré son épuisement, Rollan poussa un cri d'allégresse. A quelques toises de lui le conduit s'ouvrait; plus loin, une nappe d'eau tranquille et parsemée de glaïeuls lui renvoyait, brisée, la lumière de la lune, qu'il n'apercevait point encore. Deux ou trois vigoureux élans le condui- sirent à l'orifice; il jeta autour de lui son regard avide, el reconnut, avec une indicible joie, l'é- tang de Vertus. Le rivage était là près de lui; il toucha terre et tomba à genoux. Dans son ra- vissement, re gardant ce salut inespéré comme un bienfait immédiat du Ciel, il pria Dieu avec ferveur. Quand il se releva, souffrance et fatigue semblaient avoir disparu; redressant sa forte taille, il étendit la main vers le château de Goello. - A nous deux désormais, Gauthier de Penneloz ! dit-il. Puis, il s'éloigna rapidement dans la direction de la route de Rennes. Le lendemain, au pelit jour, Rollau arrivait à Rennes et soulevait le marteau de l'hôtel de Jean de Rieux. Le sire de Chateauneuf quitta son lit aussitôt, ce qu'il n'eût certes point fait pour M. le lieutenant de roi lui-même, car il était rude et arrogant vis-à-vis de ses pairs; le courrier fut introduit. 11 était pâle et avail peine à se soutenir, tant ces deux jours de fatigues in- cessantes avaient dompté sa vigueur habituelle; néanmoins il resta debout, malgré le geste conr- lois de Jean de Rieux qui lui indiquait un siége. Il prit la parole d'une voix grave et triste; les noms de Penneloz et d'Avaugour furent souvent prononcés dans son récit. Tandis qu'il parlait, les sourcils de Jean de Rieux se fronçaient; sa main tourmentait convulsivement la garde de son épée. - Maitre, dit-il, quand le courrier ent terminé, dans la bouche de tout autre, ton récit me semblerait une audacieuse et invraisemblable tromperie. Toi, tu ne mens pas, je le sais ; mais as-tu complète certitude?... J'ai vu, interompit Rollan. Le sire de Châteauneuf réfléchit une seconde, puis se leva brusquement; son courroux, jus- qu'alors contenu, éclata dans son regard; il fit un geste de menace et s'élança vers la porte, comme s'il allait se mettre incontinent à la poursuite d'un ennemi absent. Rollan l'arrêta. -Messire, dit-il, je vous supplie de m'écouter encore. Rollan avait croisé ses bras sur sa poitrine; son œil élait levé vers le ciel; il y avait dans sa voix de la tristesse encore, mais aussi de l'enthousiasme et une indomptable détermination. Il parla longtemps et avec chaleur. Le visage du sire de Châteauneuf exprima d'abord la surprise, puis une subite et muette admiration. 1 - Mattre, s'écria-t-il, cela est beau, mais dangereux et difficile; ne crains-tu point de faiblir? Dieu m'aidera, dit Rollan. - J'ai foi en ta vertu comme en ton courage, reprit le sire de Châteauneuf. Puis, changeant de ton tout à coup, et portant la main à son feutre : - Donc, salut à vous, ajouta-t-il, messire Julien d'Avaugonr, chevalier, connétable de Bretagne ! Monseigneur, dit Rollan, qui toucha son coeur et s'inclina profondément, au nom de celui qui n'est plus et de son fils orphelin, je vous remercie. Le jour même, devaient s'ouvrir à Rennes les séances des états de Bretagne. Cet antique par- lement était divisé d'ordinaire en deux partis hostiles. Le premier, qui réunissait peu de votes, était, si l'on peut s'exprimer ainsi, la portion ministerielle de l'assemblée: elle se composait de gens tenant charges du gouvernement français; à leur tête se trouvaient naturellement le gou- verneur et le lieutenant de roi. L'autre parti, incomparablement plus nombreux, comptait dans ses rangs les mécontents, les ambitieux déçus, et surtout les zélateurs de l'indépendance. Ceux-ci, eux seuls, formaient plus de la moitié des états. Mais cette masse opposante, si compacte et si re- doutable au premier aspect, était en réalité fort désunie elle-même: en Bretagne, plus que par- tout ailleurs, le moindre gentillaire se dit volontiers d'aussi bonne maison que le roi; un grand nombre de ces nobles, affiliés aux Frères Bretons, travaillait sous main dans un but person- nel. A part ces petites factions qui, à la rigueur, pouvaient se rapprocher à l'heure du péril, la confrérie présentait deux nuances principales, ne s'accordant ni sur le but de l'association ni sur son principe: les uns proclamaient d'avance l'indépendance absolue, et ne demandaient rien moins qu'un schisme complet; les autres, modérant ces prétentions exorbitantes, voulaient con- server un lien entre la métropole et la province, mais un lien tout féodal; ces derniers, par le fait, étaient bien près d'admettre le statu quo, pourvu qu'on respectat scrupuleusement les priviléges el franchises garantis par le contrat d'Union. Le chevalier d'Avaugour, grâce à l'active coopé- ration de Rollan, avait rallié à sa bannière toutes les diverses nuances de la partie mécontente de l'assemblée; mais où était le chevalier d'Avangour? Privée de son chef, cette phalange indisci- plinée devait se briser contre tout obstacle. Source galica bnffr7 Bibliothèque nationale de France