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292 LA SYLPHIDE. L'éternelle discussion allait être mise de nouveau sur le tapis. M. de Pontchartrain était arrivé de Paris quelques jours auparavant, en qualité d'intendant royal. En même temps que lui, le cardinal-ministre avail envoyé d'autorité tous les seigneurs bretons francisés qui se trouvaient à la cour le vieux Gondy lui-même, qui avait siégé aux états pour son duché de Retz, situé dans le Nantais, devait venir donner son vote à M. l'intendant de la province. Grâce à ce con- cours de voix nouvelles, grâce surtout aux manœuvres secrètes pratiquées auprès des membres recalcitrants, par les émissaires de Son Éminence, à qui la Fronde laissait un instant de répit, on espérait enfin emporter de haute lutte cette mesure notoirement illégale, puisque, aux termes de l'acte de réunion, la Bretagne devait voter et administrer elle-même son impôt. Lorsque les vastes battants de la grand'porte du palais s'ouvrirent pour donner passage à la foule des seigneurs, clercs et bourgeois, composant les états, on eût pu remarquer, sur la plupart des visages, une hésitation de bon augure pour les projets de la cour de France. Beaucoup s'ac- costaient ouvertement, annonçant à haute voix l'intention de voter avec MM. de Beaufort et de Coëtlogan, le premier, gouverneur de la province, le second, lieutenant du roi; si quelques- uns se demandaient timidement des nouvelles de la fraternité bretonne, c'était pour hausser en- suite les épaules, et prononcer avec découragement le nom de Julien d'Avangour. La grand'salle s'emplissait; cependant, contre l'ordinaire, les bancs où siégeait cette portion de l'assemblée, que nous avons baptisée ministérielle, étaient combles, tandis que, dans le reste de la salle, nombre de places restaient inoccupées. De ce que nous disons, il ne faudrait point con- clure que le lien des séances du parlement breton fùt disposé comme nos chambres modernes ; les trois ordres, bien entendu, siégeaient à part, savoir: la noblesse sur une estrade semi-circulaire. à droite, en entrant; le clergé, sur une estrade semblable, adossée symétriquement à la muraille opposée; le tiers ordre s'asseyait au milieu, sur des cbaises à bras, non rembourrées, appuyées sur le sol même. Au fond de la salle, qui sert maintenant de grand'chambre à la cour royale de Rennes, trois siéges s'élevaient vis-à-vis de la porte principale: le premier, recouvert d'an dais de velours, au double écusson de France et de Bretagne, était affecté à monseigneur le gouver- neur, représentant la personne du roi; les deux autres, moins hauts et sans dais, appartenaient au lieutenant de roi et au président des états; ils étaient semblables, sauf les couleurs : celui du président était d'hermine; celui du lieutenant était de France. Ces trois siéges étaient supportés par une estrade séparée, qui dominait de plusieurs pieds les gradins nobles et ecclésiastiques. D'ordinaire, à la séance d'ouverture, le fauteuil de la présidence était occupé par un baut baron. Il y avait déjà dans la salle de fort grands seigneurs, mais aucun n'avait ose monter les degrés de l'estrade. M. de Coétlogon, lieutenant de roi, occupait le siége réservé à la droite du dais; M. de Beaufort élait absent; son siége et celui du président restaient vides; on se disait tout bas que ce dernier serait tenu par Albert de Gondy, duc de Retz. Il se faisait déjà un murmure d'impatience, lorsque les deux huissiers de service, comme s'ils se fussent donné le mot, frap- pèrent bruyamment le sol du fer de leur ballebarde, et annoucèrent en même temps les noms de Rieux et de Gondy. Tous les yeux se tournèrent vers les nouveaux arrivants; eux, s'avan- cèrent couverts, après avoir porté négligemment la main au feutre. Ils marchaient lentement et de front, ils ne s'étaient point salués. M. de Retz était un vieillard de baute taille, couvert d'or et de broderies; sur son grand cos- tume de maréchal, était passé le cordon des ordres du roi. Il allait, la tête au vent, le poing sur la hanche, et portait sur son visage l'expression de bravade méprisante qui semble un héritage de famille, dans celte race audacieuse des Gondy. Le sire de Châteauneuf, au contraire, était jeune, petit, et de médiocre mine; il était vétu de gros drap pers, comme les jours où il faisait chasse au loup dans ses domaines. Sa large figure ne se montrait, à proprement parler, ni cour toise ni hautaine; on y lisait l'indifférence la plus parfaite. Ils arrivèrent ensemble au bas de l'estrade, montèrent les degrés d'un pas égal, et s'arrètèrent en face du siége de la présidence; M. de Gondy, toisant fièrement son compagnon, saisit un des bras du fauteuil; Jean de Rieux prit l'autre. Il se faisait dans la salle un silence profond. Chacun voyait là autre chose qu'un frivole combat d'éliquette : c'était Paris et la Bretagne en présence. Monsieur, dit le duc en secouant négligemment le flot de dentelles sous lequel disparaissait sa main ridée, je vous prie de vous aller seoir ailleurs, c'est ici ma place. Le sire de Châteauneuf leva sur lui un regard sérieusement étonné, mais ne répondit point; seulement, il attira le fauteuil de son côté, et retroussa ses basques pour s'asseoir. 1 Sur ma parole! s'écria le due contenant sa fureur, voici une plaisante aventure!... Vous ne savez point qui je suis, je pense, mon gentilhomme? Non, dit le sire de Châteauneuf. Source gallica.bnf.fr/Bibilothèque nadonale de France