Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/16

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- LA. SYLPHIDE. On me nomme Albert de Gondy, duc de Ketz et de Beaupréau, comte de... Et moi, Jean de Rieux, interrompit ce dernier. 293 - Je suis, continua Gondy, maréchal, pair de France, chevalier des ordres du roi, gouverneur d'Anjou, grand écuyer de madame la reine-mère... -Moi, Breton et noble, interrompit encore Jean de Rieux, gardant jusqu'au bout son imper- turbable sang-froid. Ce disant, il imprima au fauteuil un brusque mouvement, el s'assit. Le duc demeura immobile, la bouche ouverte, paralysé par la colère et la stupéfaction. La salle entière s'était levée par un mouvement général et. spontané. Les gens du roi de France se plaignaient avec grande amertume; ils avaient raison: cet incident inattendu venait de remettre en courage les opposants qui commençaient à chanceler. On voyait de tous côtés des visages etin. celants de joie et d'orgueil; le vieux sang breton bouillonnait dans toutes les poitrines. Les deux adversaires avaient été séparés par la foule; le duc, l'épée à la main, gesticulait et menaçait à haute voix. Jean de Rieux, toujours assis, dans l'attitude de la plus entière insouciance, se taisait el semblait réver. Le lieutenant de roi s'avança vers-lui, le feutre à la main. -Messire, dit il, nul ne conteste votre noble origine, mais la dignité de M. le duc... - Sommes-nous en Bretagne, je vous prie, Monsieur de Coetlogon?. demanda Jean de Rieux avec simplicité. - - Sans doute, reprit en rougissant le lieutenant de roi; mais... Alors, continua le sire de Châteauneuf, en l'absence de MM. mes ainés d'Acérac et de Sourdéac, voici mon dernier mot: vienne un plus proche parent du.sang ducal, je lui céderai la place. Gauthier de Penneloz, ennemi personnel des Rieux, et cherchant à se ménager l'appui de la cour de France, vint à ce moment au secours de M. de Cuētlogon. - Me voilà, dit-il, répondant à l'appel de Jean de Rieux. Celui-ci laissa errer sur sa levre un dédaigneux sourire. Monsieur le commandeur, dit-il, je vénère les hommes d'Eglise quand ils sont gens de bien; mais je leur cède à la messe et-au confessionnal seulement. Un nouvel arrivant était entré dans la salle, et avait passé inaperçu au milieu du désordre; c'était Rollan Pied-de-fer, vėlu d'un riche costume de gentilhomme. Il avait écouté d'abord froi- dement et de loin; à la vue de Gauthier de Penneloz, il s'avança droit an fauteuil confesté, et dit comme lui : Me voilà. Jean de Rieux se leva aussitôt, et se découvrit; puis, prenant respectueusement la main du courrier, il le fit asseoir en disant à haute et intelligible voix : -Soyez le bienvenu, Monsieur mon cousin d'Avaugour! Ce nom retentit de proche en proche, et calma le tumulte comme par magie; l'arrivée du chevalier était un événement majeur qui devait dissiper toute préoccupation secondaire; on fil cercle autour de l'estrade. Un grand nombre de membres n'avaient jamais vu Julien d'Avaugour; les autres l'avaient aperçu une seule fois au château de Goëllo, lors de l'assemblée qui avait pré- cédé sa disparition. Néanmoins, et malgré la ressemblance frappante du courrier avec son an- cien maitre, quelques doules auraient pu s'élever, si la reconnaissance formelle de Jean de Rieux eût laissé place aux soupçons. La pensée d'une usurpation de nom ne vint à personne; les uns se réjouirent de ce retour inespéré, les autres maudirent le hasard. Un seul homme, dans la par- lement, ne partageait point l'erreur générale au nom du chevalier d'Avaugour, Gauthier de Penneloz'avait tressailli et reculé de plusieurs pas; il resta un moment le regard cloué au sol, comme s'il eût craint, en le relevant, d'apercevoir quelque effrayante apparition. Enfin, il fit un effort et se redressa.; l'oeil de Rollan, calme, assuré, était fixé sur lot.. Ce n'est pas lui! s'écria mentalement le commandeur, en poussant un long soupir de.soula- gement; mais que peut vouloir cet-homme? 11 se prit à réfléchir. Ce prétendu chevalier, dont il se rappelait confusement la figure, devait élre un imposteur de bas étage, n'ayant d'autres chances de succès que son. audace et la disparition du véritable Julien d'Avaugour. Néanmoins, comme lui, Gauthier, était seul à savoir le sort'de ce dernier, la réussite de l'usurpateur ne restait point douteuse. Le sira de. Chateauneuf, ami d'en- fance de Julien, et dont la renommée de loyauté n'était pas aftaquable, admettait l'identité de cel homme; que pouvait faire le reste de l'assemblée, qui ne connaissait point le chevalier? Gau- thier de Penneloz, malgré son double échec, n'avait renoncé complétement ni à son mariage.ni à ses ambitieuses vues politiques; seulement, il s'était ménagé, en cas de défaite nouvelle, une Supplément à la 1ge livraison. Source galica bnffr7 Bibliothèque nationale de France