Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/17

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294 LA SYLPIIIDE. porte de derrière, et comptait vendre son appni au cardinal, pour quelque charge de haute im- portance. A ces divers projets, le retour de Julien faisait également obstacle: le chevalier, en effet, allait reprendre la première place dans la confrérie bretonne; le crédit diminué du com- mandeur influerait sur son marché avec Son Eminence, et ferait laisser proportionnellement le prix de l'apostasie. Gauthier de Penneloz, voyant tout ce que lui causerait d'embarras la pré- sence de cet adversaire inattendu, et ne pouvant l'écarter violemment, essaya de trouver un biais; il s'avança vers Rollan et s'inclina courtoisement. - Mon noble cousin, dit-il, je vous salue. Puis, se penchant à son oreille, il ajouta tout bas : - Maitre, il te faudra venir ce soir à l'hôtel de Kermel; je t'attendrai. Il fit un geste menaçant et péremptoire. Rollan ne sourcilla pas. Il avait rendu le salut du commandeur; à ces derniers mots, il répondit par un froid sourire. Prends garde!... voulut dire Gauthier de Penneloz. - Monsieur le commandeur, interrompit Rollan à haute voix, vous plairail-il de vous rendre ce soir à la demeure de messire Jean de Rieux, mon hôte? Je vous attendrai. Gauthier se mordit la lèvre; mais, couvrant son dépit sous une apparence de cordiale familiarité: Mon cousin, cela me plait, dit-il. Et il reprit sa place sur les bancs de la noblesse. Pendant cette scène, l'effervescence s'était calmée; M. de Coetlogon avait fait placer près de son fauteuil un siège pour M. le duc de Retz qui, bon gré, mal gré, dut se contenter de cette équivoque réparation. La séance commença. La présence du chef de l'association bretonne venait corroborer l'effet produit par la fière action de Jean de Rieux; aux premiers mots prononcés par le lieutenant de roi, ceux qui tenaient pour la France, durent voir que le vent avait tourné; le nom du marquis de Pontchartrain, titulaire de la charge d'intendant de l'impôt, fut couvert par un cri universel de réprobation. Henon de Coëtquen, seigneur de Combourg, après avoir con- sullé le sire de Châteauneuf, s'élança à la tribune: il était fougueux parleur; son discours ful un véhément et fort rude rappel aux termes du contrat d'union; sa péroraison, une menace for- melle de guerre, au cas où Sa Majesté Très-Chrétienne persisterait dans son système d'envabis- sante oppression. En vain Albert de Gondy et autres voulurent rétorquer les arguments du noble Brelon; l'assemblée était en fièvre; cent voix proposaient de voter par acclamation le renvoi de l'intendant royal. Jean de Rieux et le chevalier d'Avangour restaient seuls calmes, au milieu du tumulte général. Enfin ce dernier se leva. Messieurs, dit-il, point de vote; le silence. 1 Cette hautaine parole fut accueillie par l'enthousiasme de tous; l'assemblée se sépara sans qu'il fût possible de meltre aux vois la réception de M. de Pontchartrain. En celle réunion mémorable, le génie de l'indépendance bretonne s'était montré si puissant, que les plus indécis se rallièrent au drapeau de la confrérie. M. de Retz et de Pontchartrain partirent le jour même, afin de porter leurs plaiutes à la cour. En montant à cheval, M. de Retz promit de revenir sous peu, avec ce qu'il faudrait d'arquebuses pour mettre à la raison ces entités bavards, messieurs des états. Le soir, Gauthier de Penneloz fut fidèle au rendez-vous. Rollan, après avoir fermé lui-même les portes de sa retraite, montra du doigt un siége à son visiteur. Sommes-nous seuls? demanda celui-ci. - Lequel de nous deux craint l'oreille des curieux, Messire, dit Rollan au lieu de répondre. Vous, très-probablement, mon cousin d'Avaugour! s'écria le commandeur en riant. Çà. maitre, continna-t-il, en se jetant dans un fauteuil, trève d'effronterie, je vous conseille; jouer votre rôle devant moi serait peine superflue; je sais qui vous n'êtes point, sinon qui vous êtes... n'avez-vous pas peur, dites-moi, que messire Julien ne vienne?... 1 Je n'ai garde! interrompit Rollan, dont les sourcils se froncèrent. Le commandeur fit un geste de surprise. Hélas! dit-il avec une feinte tristesse, il est vrai que mon malheureux parent est, suivant toute apparence, dans un lieu d'où l'on ne revient guère. Pourtant, il serait possible... -Non, dit Rollan. - Comment! s'écria le commandeur en pålissant; sauriez-vous?... Le courrier ne répondit point. Gauthier, honteux de l'avantage que prenait invinciblement sur lui cet homme qu'il avait compté terrasser d'une parole, s'efforça de retrouver son assurance. Et moi, reprit-il avec un sourire railleur, n'avez-vous pas peur que je parle? - Non, dit encore Rollan. - Sur Dieu, vous êtes hardi, mon maître; si l'audace suffisait à donner noblesse, vous seriez un puissant seigneur pour tout de bon. Par malheur, il n'en est point ainsi, Ecoutez, je de- vine ce qui vous donne, à cette heure, tant d'impudence: ce matin, pour une cause à moi connue, je me suis tu; mais demain... t

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