Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/18

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LA SYLPHIDE. - - Demain, vous vous fairez encore, messire Gauthier. 295 Celui-ci se leva el parcourut la chambre d'un regard inquiet. Ce mot, dans la bouche du faux chevalier, lui semblait n'avoir d'autre sens possible qu'une menace de violence. - Nous sommes sous le toit de Jean de Rieux, reprit Rollan avec froideur ; je suis sans armes ; vous avez votre épée, rassurez-vous, messire. -Malfre, dit Gauthier de Penneloz, qui ne pouvait plus contenir son trouble; il est en tout ceci un mystère dont il me faut l'explication. -Vous dites vrai, monsieur le commandeur; il est en tout ceci un mystère; naguère vous éticz seul à le connaître; peut-être le sais-je, moi aussi, maintenant. Gauthier restait debout, l'oeil fixe. la respiration pressée; la sueur perçait en gouttelettes, sur son front påle et plissé; Rollan, calme, impassible, le toisait d'un regard sévère et semblait sa- vourer sa détresse morale. Quoi que tu saches, dis-le | s'écria enfin le commandeur. - Je suis ici pour cela, messire. Ecoutez et veuillez ne point m'interrompre Je me nomme Rollan, je suis courrier de mon métier... - Passe ! que m'importe ton métier dit le commandeur avec impatience. Ma profession, continua lentement Rollan, m'oblige à voyager de nuit parfois. Un soir... Manant! s'écria Gauthier de Penneloz, dont la curiosité exaltait la colère; oses-tu bien te railler de moi ! que sais-tu ? - Un soir, reprit le courrier, sans tenir compte en aucune manière de cette violente inter- ruption, un soir, je m'arrêtai au bourg de Hédé ; il y a de cela un an. Vers onze heures de la nuit, voyant la lune brillante et le ciel serein, il me prit désir de me remettre en route. J'allai à Bécherel; pour ce faire, vous savez, messire, qu'il faut couper la montagne de Goello. L'air était frais; je cheminais gaiement, contemplant le manoir des comtes de Vertus, dont les tours sombres ressortaient sur l'azur argenté du firmament. Tout à coup, au moment où je dépassais le chateau, un bruit de chaines retentit; le pont-levis grinça sur sa charnière rouillée; un cavalier parut... Ne m'interrompez pas, messire... C'était un jeune seigneur de noble mine, qui sortait, comme il était entré, sans suite, confiant aux saintes lois de l'hospitalité. J'entendis, dans l'ombre, le bruit d'une accolade; une voix prononça, sur le seuil, un cordial au revoir... C'était votre voix, Gau- thier de Penneloz... Déjà l'hôte de Goëllo avait franchi la moitié du pont, lorsque sa monture se cabra subitement; le cavalier piqua des deux; ce fut en vain hasard ou perfidie, plusieurs planches avaient été enlevées. J'allais m'élancer au secours, lorsqu'un homme, quittant l'ombre de la voûte, se montra à découvert... C'était vous... Je vis briller la lame d'une épée; le cheval boudil en avant; monture et cavalier disparurent ensemble dans l'abime. A ce moment, votre noble pupille ouvrit sa fenêtre et agita en l'air une écharpe blanche. Elle parcourait des yeux le tertre, cherchant le chevalier son époux. -Quoi tu sais aussi ?... dit le commandeur stupéfait. - - -Maintenant, messire, continua Rollan, dont la voix tremblait d'émotion à ces douloureux souvenirs; il ne faut plus menacer. Julien ne reviendra pas, parce qu'il est mort; vous vous tairez, parce que vous êtes son assassin, et que je fus le témoin de votre crime. Gauthier de Penneloz avait prévu cette conclusion. Tandis qu'il écoutait le courrier, son esprit s'était partagé entre le récit et les mesures à prendre pour combattre utilement le péril; d'abord il avait songé à nier, mais son attention s'était ensuite concentrée tout entière sur cette circonstance, qui pouvait porter à son projet favori le coup le plus funeste: Rollan connaissait le mariage de Reine de Goëllo avec Julien d'Araugour. Il fut longtemps avant de reprendre la pa- role; voyant le danger dans toute son imminence, il fit un appel désespéré à sa fermeté d'ame, et réussit enfin à prendre le dessus. Voilà tout? demanda-t-il en mettant le poing sur la hanche. - N'est-ce point assez? dit Rollan. - C'en est assez pour perdre le vilain qui a osé menacer un noble homme! reprit Gauthier avec un arrogant sourire. Qui croira le courrier Rollan, quand Penneloz lui dira: Tu as menti? - L'oseriez-vous donc, messire? Le commandeur se dirigea vers la porte. -Maître, dit-il, je tácherai que justice soit faite; justice prompte et bonne. Il accompagna ces mots d'un geste ironique et menaçant. Rollan le suivit du regard jusqu'au seuil; au moment où le commandeur posait le doigt sur le verrou, Rollan lui fit signe de de- meurer. La suite à la prochaine livraison. PAUL FEVAL. Source gallica.bnf.fr/Bibliotheque nationale de France