Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/21

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LA SYLPHIDE. 307 l'inconstance: sans doute, il était retenu loin de la Bretagne; peut-être avait-il découvert l'by- pocrisie du commandeur, et attendait l'époque prochaine de sa majorité, à elle, pour déclarer le mariage secret. Néanmoins, à mesure que passaient les jours et les semaines, l'inquiétude entrait dans le cœur de Reine. Qu'était devenu ce fils qu'e le n'avait vu qu'une seule fois? Julien, pen- dant son court séjour à Goello, avait parlé de l'enfant, mais trop peu pour rassurer le craintif amour d'une mère, et Rollan Pied-de-Fer, l'ami fidèle, infatigable, qui servait de messager aux deux époux, avait disparu pour Reine, dès l'époque de l'arrivée en Bretagne du chevalier d'A- vaugour. Depuis, elle n'avait point quitté Rennes, où le commandeur avait fixé sa résidence, après l'assemblée générale des Frères Bretons, tenue au manoir des comtes de Vertus. C'est là que nous retrouvons la dame d'Avaugour; le commandeur, en parlant pour Paris. l'avait reléguée à son propre château de Goello. Seule avec ses femmes et Baer, le vieux con- cierge, elle passait ses jours dans la tristesse, à peine soutenue par un reste d'espérance. Un soir qu'elle était à sa fenêtre, révant, comme d'habitude, au temps de son bonheur, elle entendit un brait dans le feuillage, au delà du saut de Vertus: un homme sortit de l'ombre, se découvrit et agila son feutre. Reine poussa un cri, et se rejeta en arrière, la main sur son caur pour en con lenir les battements: elle avait eru reconnaitre Julien d'Avaugour. Descendant précipitammeul, elle ordonna qu'on baissat le pont-levis. Baër hésita; il avait reçu du commandeur ordre formel de tenir le château fermé à tout venant; mais un geste impérieux de sa maitresse fit taire ses scrupules. Le vieillard ent peur, tant il y avait de soudaine autorité dans la pose de la jeune femme, de puissance hautaine et irrésistible dans son regard: à l'occasion, ce môle sang des souverains de Bretagne se révélait sous la guimpe d'une demoiselle, comme sous le haubert d'un chevalier. Le pont levis fut baissé Rollan franchit le seuil. Le courrier poursuivait son œuvre avec une inébranlable persévérance. Quand il avait vu son identité suffisamment reconnue aux états, il avait quitté Rennes, pour se rendre au bourg de Hédé, dans la maison d'Anne Marker. Là, le premier visage qu'il rencontra fut celui de Corentin Bras, son adversaire dans le duel nocturne que nous avons raconté au commencement de cette histoire. Le rustre recula, chahi. - Vivant... et gentilhomme! s'écria-t-il en se signant. Chut! dit Rollon, qui mit un doigt sur sa bouche. J'ai vu d'étranges choses au trou de Vertus, mon coñipère, el Salan, parmi d'autres secrets, m'a enseigné le moyen de faire taire les gens qui se souviennent de trop loin. - Monseigneur!... balbulia Corentin. www Va-t'en, et ne reviens point tant que je serai dans cette maison. Corentin s'éloigna aussitôt, mais il se retourna maintes fois pour jeter un regard curieux et craintif sur ce manant que l'enfer avait fait grand seigneur. Le lendemain, on se répétait dans le bourg de Hédé une histoire de plus, touchant la tradition du saut de Vertus. Plus d'un jeune gars se promit de tenter quelque jour l'aventure, pour gagner, lui aussi, une épée et un pour- point de velours. Il y eut entre Rollan et Aune une scène de douleur et d'amertume. La jeune fille avait fail comme Reine de Goello; elle avait traité de fable le récit de Corentin, et attendait toujours son fiancé. A sa vue, elle se précipita, rouge de bonheur; puis elle s'arrêta confuse el indécise: ce riche costume l'effrayait. - Anne, dit Rollan, je viens chercher l'enfant que je vous confiai autrefois. - Le chercher, répéta la jeune fille; vous venez le chercher! Comme Rollan gardait le silence, elle baissa la tête; une larme vint se suspendre aux longs cils de sa paupière. L'enfant est ici, reprit-elle; ma mère et Corentin voulaient l'exposer à la charité des pas- sants; moi, j'aurais mieux aimé mourir... Le courrier fit un pas vers elle; une pensée subite le retint. Annc, je vous remercie, dit-il ; je savais que vous étiez une bonne et généreuse fille. Au geste de Rollan, Anne avait tendu sa joue; ces froides paroles la glacèrent jusqu'au fond du cœur. - Le temps presse, reprit le courrier je n'ai point le loisir de m'arrêter. Oh! pourquoi vous ai-je vu! s'écria la jeune fille, dont les sanglots contenus éclatèrent; pourquoi vous ai-je vu, vous qui deviez m'oublier sitôt ! Rollan se détourna pour cacher son angoisse. En ce moment, son courage fléchit peut-être, car il aimait Anne de toute la puissance de son cœur; mais il se souvint à temps de la tâche tracée. Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France