Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/22

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308 - plus. - LA SYLPHIDE. Je n'ai rien oublié, dit-il; Dieu m'est témoin que je vous aime; mais je ne m'appartiens A une autre, vous ! murmura la pauvre jeune fille en tombant sur un siège. - A une autre... Oui, prononça Rollan avec effort. Anne trouva dans sa fierté de femme la force de s'éloigner. - Je vais chercher l'enfant, dit-elle. Rollan la suivit du regard; quand il fut seul, un sanglot convulsif souleva sa poitrine. - Ayez pitié de moi, mon Dieu I murmura-t-il; le bonheur était là ! Puis, recevant l'enfant des mains de la jeune fille qui revenait, il prit en silence le chemin de la porte. Sur le seuil, il se retourna : - Anne, dit il d'une voix brisée, nous ne devons plus nous revoir sur cette terre. Priez pour moi et ne me maudissez pás. Dieu m'a imposé une rude tiche, et je n'ai que les forces d'un homme... Soyez heureuse, ma fille. Adieu! L'instant d'après on entendait son pas précipité sur la pelouse de la cour. Anne se pencha pour saisir un dernier bruit: on n'entendait plus rien. - C'est bien lui, pourtant! s'écria Corentin, en se montrant tout à coup derrière la porte ou il s'était caché durant cette scène: il n'y a point au monde d'antre homme que Rollan Pied-de- Fer pour courir comme cela. Le diable n'aura pas voulu de lui. Rollan prit en effet sa course au seuil de la maison d'Anne Marker, et ne s'arrêta que sur le tertre de Goêllo. 11 avait cru tromper ainsi son émotion, mais lorsqu'il franchit le pont-levis, la sueur qui baignait son front n'était point le produit de la fatigue: Rollan venait de consommer son sacrifice; il avait repoussé le bonheur longtemps rêvé par lui, ce bonheur calme, obscur, intime; le lecteur verra plus tard ce qu'il avait pris en échange. En entrant dans l'appartement de Reine, il mit un genou en terre. - Madame, dit-il, voici votre enfant. Il déposa le jeune Arthur endormi dans les bras de sa mère. Celle-ci, d'abord tout entière à la joie, couvrait son fils de baisers. - Comme il lui ressemble! disait-elle; comme il est beau! Puis se rapprochant vivement de Rollan, qui la contemplait en silence, elle ajouta : Et lui? quand dois-je le revoir ? Le courrier secoua tristement la tête. - Madame, dit-il en montrant Arthur, Dieu ne vous a pas tout enlevé. Une pâleur livide monta aux joues de la dame d'Avaugour. Mort? demanda-t-elle d'une voix si faible, que Rollan eut peine à l'entendre. -Assassiné, Madame. Reine chancela el lomba évanouie. Une heure après, la dame d'Avaugour était demi-couchée dans un vaste fauteuil; ses yeux étaient encore pleins de larmes. Debout devant elle, se tenait Rollan; il parlait avec respect, mais d'unc voix ferme et pressante. Mattre, je plains votre audacieuse folie, dit enfin Reine avec fierté; l'héritier d'àvaugour et de Goello n'achètera point à si haut prix la protection d'un vassal. Le front de Rollan se couvrit de rougeur. Madame, dit-il avec tristesse, ce serait de ma part un condamnable orgueil que de vous dire: Je pardonne; pourtant, je ne mérite point votre insulte. Je sais près d'ici une pauvre en- fant qui pleure et m'appelle; je lui ai dit, ce soir, adieu pour jamais. Cette enfant, je l'aime, Madame; je l'aime!... mais monseigneur Julien d'Avaugour me nommait son frère, et j'ai fait un serment. Mais vous n'y pensez pas, maître! s'écria Keine ébranlée par la persistance solennelle du courrier; que je prenne un autre époux, moi!... - A Dieu ne plaise, Madame! vous ne m'avez pas compris. Oh! vous pouvez avoir confiance en moi, qui fus l'ami du chevalier pendant sa vie, et qui, après sa mort... pardon pour cette parole, Madame... donne tous mes espoirs de bonheur pour l'avenir de son enfant. Ecoutez et jugez : Ici Rollan répéta devant Reine ce qu'il avait dit à Jean de Rieux, la veille de la première séance des états L'effet fut le même : à mesure qu'il parlait, le visage de la jeune femme s'éclair- cissait el s'animait de plus en plus. - Rollan, dit-elle enfin, je vous prie de me pardonner; vous êtes un généreux ami; agissez pour le mieux; je mets ma personne et celle de mon fils à voire garde. Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France