Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/23

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LA SYLPHIDE. 309 - Merel, merci, ma noble dame! s'éria Rollan, qui se remit à genoux. Notre ennemi est fort, mais le Ciel est pour nous, puisqu'il me donne votre confiance; l'écusson d'Avaugour sera relevé. Gauthier de Penneloz, pendant cela, ne perdait point son temps. A peine arrivé à Paris, au lieu de se mettre en quête de MM. de Gondy et de Pontchartrain, il se rendit immédiatement auprès du cardinal-ministre. Dans l'antichambre, il rencontra M. de Gondy qui sortait fort mécontent du cabinet: il avait demandé un corps de troupes considérable, et Son Eminence avait accueilli cetle ouverture par le refus le plus péremptoire. Par le fait, en ce moment, M. le cardinal avait plus d'occupations qu'il n'en fallait pour oublier les récalcitrants de Bretagne; s'il eût, par ha- sard, possédé des soldats de reate, la Fronde qui se faisait de plus en plus inquiète lui aurait sur- le-champ fourni les moyens de les utiliser. Le propre neveu d'Albert de Gondy, Jean-François, si fameux depuis sous le nom de cardinal de Retz, remuait alors Paris de fond en comble. Ensuite venaient MM. de Beaufort et de Longueville, M. le Prince, et tant d'autres que Son Eminence en perdait la tète. Le duc de Retz salua en passant le commandeur, lui raconta en peu de mots le résultat négatif de son audience, et lui souhaita ironiquement meilleur succès. Gauthier de Penneloz fut introduit à son tour; le ministre le reçut d'un air froid; mais, dės les premiers mots, la physionomie de Son Eminence changea brusquement; un sourire satisfait vini se poser sur sa lèvre et ne la qnitta plus. C'est que, au lieu d'une armée, Gauthier de Pen- neloz ne demandait qu'un ordre de la cour et quelques sergents; il ne s'agissait plus avec lui de combattre une province rehelle, mais d'arrêter un coupable de haute trahison. Le coupable était Julien d'Avaugour; les preuves ne manqueraient pas pour motiver son arrestation, et, au besoin, fuire tomber sa tête: le chevalier d'Avaugour portait sur sa personne un acte, signé des princi- paux mécontents, qui l'instituait chef d'une ligue formée pour arracher la Bretagne à la légitime domination de Sa Majesté Très-Chrétienne. Gauthier donna les détails les plus précis sur l'or- ganisation et les forces des Frères Bretons, et appuya principalement sur cette circonstance que, Julien mort, la confrérie tomberait d'elle-même. Il ne s'arrêta pas là; passant à cette question, insoluble en apparence, l'intronisation d'un administrateur de l'impôt, Gauthier prétendit avoir un expedient infaillible pour faire évanouir la difficulté. Le cardinal accueillit cette annonce avec un plaisir évident; la Bretagne, jusqu'alors, avait été pour la couronne une sorte de nue pro- priété; or, le gouvernement du roi avait plus que jamais besoin d'argent. Gauthier entra dans une argumentation détaillée et suffisamment plausible, d'où il résultait que les intendants royaux étaient repoussés surtout parce que Sa Majesté faisait choix, pour occuper cette charge, de gens étrangers à la province. - - Que Votre Eminence choisisse an Breton, dit Gauthier en terminant, et je lui réponds du succès. Le Cardinal fit un signe de tête équivoque: il voyait enfin où le commandeur en voulait venir. L'audience se prolongea quelques minutes encore; quand Gauthier sortit, il était radieux. Le lendemain il partit en compagnie de M. de Gondy; ils avaient licence de prendre, sur leur route, partie des sergenteries d'Anjou et de Normandie, voire quelques troupes des garnisons voisines de la frontière. Le commandeur avait, en outre, dans son coffre de voyage, la commission du- ment signée d'intendant royal pour la province de Bretagne. Nos deux seigneurs allaient gaiement, ne doutant point du succès, et se promettant grande joie de la confusion de leurs adversaires, A Rennes, Gauthier de Penneloz trouva une nouvelle qui modéra notablement son allégresse. La veille, avait eu lieu à l'église cathédrale de Saint-Mélaine, une solennelle cérémonie: les états de Bretagne ayant soustrait d'autorité à la tutelle illégale du commandeur de Kermel l'héritière des comtes de Vertus, celle-ci, déclarée majeure, avait rendu public un mariage secret antérieur. Le peuple de Rennes, idolâtre du sang de ses anciens maitres, avait crié de bon cœur Noël pour Avaugour et Goello. Les deux époux avaient été installés, en grande pompe, à l'hôtel de Vertus, fief de Reine de Goello. Cet événement inattendu renversait de nouveau fons les projets du commandeur; sa fureur ne conuut point de bornes lorsqu'il apprit l'existence d'un héritier male âgé de cinq ans ; déjà il allait avoir à rendre compte de l'immense domaine de sa pupille entre les mains d'un ennemi. L'ordre de la cour lui devenait inutile. Cet ordre, en effet, n'était exécutable qu'après la disso- lution de l'assemblée, à cause de l'inviolabilité attachée à la qualité de membre des états; d'ici là, Gauthier devrait se dess-isir des biens de Verlus; or, ses prodigalités pendant son séjour à Paris, l'or qu'il avait jeté à pleines mains en Bretagne pour se faire des créatures, avaient absorbé dès longtemps son propre patrimoine en entier : rendre, c'était pour lui tomber dans le dénument le plus absolu. Cette perspective l'effraya au point de lui faire oublier toute prudence. Tandis que Supplément à lu 200 livraison. Source gallica bnt.T/Bibilothèque nationale de France