Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/24

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• 310 LA SYLPHIDE. le duc de Relz, M. de Coetlogon et autres, employaient la soirée à relever le courage du parti français et préparaient leurs batteries pour engager la lutte avec avanlage, le commandeur in- troduisait secrètement dans la ville les soldats et les hommes des sergenteries normandes. Il ne songeait plus à celle charge d'intendant qu'il avait si vivement désirée : se défaire de l'homme qui rendait, par sa présence, son premier crime inutile, voilà quelle était son unique pensée. Durant la nuit, l'hôtel de Goello fut cerné à petit bruit; Rollan sortait de grand matin d'ordinaire pour conférer avec Jean de Rieux, avant de se rendre aux états; les estafiers du commandeur se je- tèrent sur lui à dix pas de l'hôtel, et, au nom du roi de France, lui demandèrent son épée. Rollan se vil perdu; la rue était déserte encore; il était seul coutre cinquante hommes bien armés. Sans essayer une défense inutile, le courrier donna son épée, et prit le chemin de la Tour-le-Båt, an- cien palais ducal, servant alors de prison. La route était longue; l'escorte se batait, craignant de rencontrer quelque bourgeois matinal; le chef, portant un casque à visière fermée, recomman- dait de temps à autre un silence absolu. Rollan avait, dès l'abord, reconnu dans cet homme Gau- tbier de Penneloz lui-même; par un geste rapide et inaperçu il avait touché sa poitrine; les titres étaient là; mesurant sa situation d'un coup d'œil, il vit qu'une seule chance de salut lui restait. L'escorte devait passer sous les fenêtres de l'hôtel de Châteauneuf; Jean de Rieux se promenait parfois sur la terrasse en attendant la venue du courrier. Du plus loin qu'on aperçut les murs grisâtres du vicil édifice, Rollan jeta un avide regard vers la terrasse; elle était solitaire. Le cour- rier sentit le découragement envahir son ame; néanmoins il tenta un dernier effort: malgré les injures et les voies de fait de son escorle, il ralentit sa marche; les sergents le trainèrent d'abord, puis. quatre d'entre eux le saisirent et le portèrent, cela dura quelques minutes; Rollan levait sur la terrasse un regard furtif et plein d'angoisse; personne ne paraissait. Enfin l'escorte dépassa l'hôtel; Rollan baissa la tête et n'opposa plus de résistance. Une dernière fois il se retourna au moment où un angle de la rue allait masquer la demeure de Jean de Rieux: un homme, accoudé sur la balustrade de la terrasse, regardait de loin le passage des soldats. Rollan poussa un cri per- çaut; l'homme tressaillit et se pencha en avant. L'escorte se rua aussitôt sur le courrier, mais ces mots, prononces d'une voix retentissante, traversèrent l'espace et parvinrent aux oreilles de Jean de Rieux: -Y Araugour est prisonnier des gens du roi ! La séance de ce jour avait élé fixée par MM. de Gondy, de Coětlogon et le commandeur, pour lenter un coup décisif; suivant toute apparence, l'intendance de l'impôt allait être enfin établie. Dès le malin, le duc de letz et le lieutenant de roi, suivis de leurs adhérents, occupèrent la grand'salle, déterminés à voter dès qu'ils seraient en nombre, afin d'enlever par surprise cette mesure si opiniâtrement contestée. Les partisans de l'indépendance bretonne n'étaient point pré- venus; d'un autre côté, la minorité française se fortiflait maintenant de toutes les voix acquises à Gauthier de Penneloz: si ce dernier eût été à son poste, peut-être l'interminable bataille aurait- elle été gagnée cette fois par la France; mais le commandeur ne venait pas. Au moment où, fatigué de l'attendre, Albert de Gondy se levait pour mettre sur le tapis la proposition, un llot de gen- tilshommes indépendants, ayant à leur tête le sire de Châteauneuf, se précipita dans la salle, Jean de Rieux était pale; sous ses sourcils froncés, ses yeux brillaient d'un sombre éclat. Il traversa d'un pas rapide toute l'étendue de la salle, et vint se placer en face d'Albert de Gondy. - - Moi, Jean de Rieux, dit-il en se couvrant, en mon nou et de mon autorité, je vous fais pri- sonnier, Monsieur le duc. En même temps il appuya sa main sur l'épaule du maréchal pair de France. Ce geste et ces paroles furent suivis d'un inoment de stupeur. Puis le clergé se leva en masse. ainsi que la portion française du tiers et de la noblesse, pour protester contre cet acte inoui, commis dans l'enceinte inviolable des états. M. de Gondy avait dégainé; mais le sire de Château neuf, le désarmant sans effort, le retint près de lui dans l'attitude d'un captif. - Messire, s'écria le lieutenant de roi, en s'avançant l'épée nue; je vous requiers de cesser sur l'heure ce scandale ! - Arrière I dit Jean de Rieus; parlez, s'il vous plait, à distance... ou plutôt, écoulez. Quand la loi cesse de protéger la noblesse du royaume, la noblesse reprend son droit de se defendre elle- mėme. J'ai parlé en mon nom, parce que, en l'absence de mon cousin d'Avaugour et de MM. mes aines de Rieux, je prétends prendre sous ma seule responsabilité mes actes el ceux que je provo- querai ultérieurement; mais M. le duc, en réalité, n'est pas tant mon prisonnier que l'olage de la province insultée: notre plus saint privilege vient d'être outrageusement mis en oubli. Au nom du roi, des gens portant l'uuiferme de France ont porté la main sur un membre des états ! Source gallca.bnf.fr/Blollochèque nationale de France