Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/25

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_ LA SYLPHIDE. 311 Le sire de Chateauneuf, avant de se rendre aux états, avait fait convoquer les Frères Rrelons. Tandis qu'il parlait, de nouveaux arrivants entraient sans cesse, qui tous se rangeaient à ses côtés. La partie bientôt devint inégale de nouveau, mais l'avantage était désormais aux indépendants. Cent voix irritées demandèrent à la fois le nom du captif royal. - -- Julien, chevalier d'Avaugour, prononça solennellement Jean de Rieux. - Coupable de haute trahison, voulut ajouter le lieutenant de roi. Mais un murmure se fit que la voix seule de Jean de Rieux put dominer. - Coupable ou non, dit-il en fixant son regard dédaigneux sur M. de Coetlogon, les fran- chises de l'assemblée ne peuvent souffrir de son fail... Et c'est grand' pitié de voir des gens de hauts nom el race déserter l'héritage de leurs pères, pour se rendre creur et bras à l'étranger! A ces mots, Jean de Rieux se tourna vers M. de Gondy el le somma de le suivre. - A moi, les sujets fidèles de Sa Majesté le roi! s'écria le duc de Relz. A moi, messieurs mes frères ! dit Jean de Rieux en dégaînant. Il y eut un instant d'hésitation sur les bancs français; plusieurs rapières furent tirées à demi hors du fourreau; mais un décuple rang de gentilhommes se pressait déjà autour du sire de Châteauneuf. - Done, Monsieur de Coetlogon, reprit Jean de Rieux en se mettant en marche; voici le parle- ment dissous de fait. Suivant le hou plaisir de Sa Majesté le roi, nous serons en paix ou en guerre; mais qu'il ne soit pas fait insulte au chevalier d'Avaugour, ou, par le nom de Dieu! M. le duc que voici ne vous bénira point à l'heure de sa mort. Le sire de Chateauneuf quitta la salle, entrainant le duc de Retz; toute la partie bretonne des états le suivit. Les tenants du roi de France, formant à peine le tiers de l'assemblée, res- lèrent en face de l'insulte Dagrante faite au souverain pouvoir, et de leur impuissance actuelle à venger cet outrage. - Maudit soit le commandeur de Kermel! s'écria Coetlogon, dès qu'il se vil seul avec ses fideles il faut qu'il ait été affligé de démence soudaine. Grâce à lui, nous serons obligés de subir encore les conditions de ces rustres entétés... Retirons-nous, Messieurs. Il était trop tard. Le sire de Châteauneuf, dont la rude énergie s'alliait à une grande pru- dence, avait fait ce qu'il fallait, rien de plus; ses adhérents n'étaient pas d'humeur à s'ar- refer en si beau chemin. Dès que la présence de Jean de Rieux ne les contint plus, ils se répandirent tumultueusement par la ville, criant aux armes et faisant sonner les cloches de toules les paroisses. Bientôt, la population inonda les abords de la place du palais. Quand M. de Coetlogon parul sous le vestibule, des cris de mort frappèrent de tous côtés ses oreilles. Par bonheur, le lieutenant de roi, immédiatement après la sortie du sire de Châteauneuf, avait envoyé un exprès à la Tour-le-Bat, avec ordre de remettre en liberté Julien d'Avaugour. Rollan Pied- de-Fer, libre, se montra aux regards de la foule. Des hurlements d'enthousiasme s'élevèrent aussitôl; le faux chevalier fut saisi et porté en triomphe; on oublia pour un instant les gens du roi. Mais cette effervescence joyeuse ne pouvait être que passagère; la haine ne tarda pas à re- prendre le dessus. Les fanatiques de l'indépendance, voyant la circonstance favorable, excitaient la foule sans relâche; le moment vint où les gentilshommes de la minorité, cernés par un popu- laire immense, et acculés contre la grand'porte du palais, qu'on avait refermée derrière eux, du- rent songer, non pas à se défendre, mais à vendre chèrement leur vie. ― A mort, les valets de cour! criait la basse noblesse et le peuple. M. de Coëtquen-Combourg, ennemi personnel du lieutenant de roi, avait déjà croisé le fer avec lui. Ce fut alors que Rollan Pied-de-Fer, qui était parvenu à se débarrasser de ses frénétiques porteurs, put s'élancer au milieu de la mêlée. Sur la première marche du perron, il se trouva face à face avec Jean de Rieux. - Merci de nous 1 s'écria de M. de Coetlogon à cette vue; voici venir le coup de grâce ! Mais, à l'instant même où il baissait son épée, il vit avec une indicible surprise Julien d'Avau- gour et le sire de Châteauneuf se jeter entre les deux partis et couvrir les plus malmenés parmi les Français. Le chevalier s'était croisé les bras sur la poitrine, tournant le dos au parti vaincu. A son aspect, la foule avait instinctivement reculé, mais tous les regards étaient enflammés de colère, un menaçant murmure grondait encore. - Le premier sang qui coulera sera le mien, dit Rollan d'une voix calme et sonore. Depuis quand les bourgeois de la bonne ville de Rennes et messieurs des états font-ils métier de coupe- gorge?... Aujourd'hui que les ennemis de nos franchises peuvent compter leurs forces et les nôtres, ils sont vaincus à toujours... Qui aime la Bretague me suive 1 je vais rendre grâce à Dieu. Source gallica.bnt.fr/Bloliothèque nationale de France