Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/26

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

312 1.A SYLPHIDE. Julien d'Avaugour exerçait sur les partisans de l'indépendance une sorte d'autorité royale ; ils étaient habitués à regarder son nom comme celui de leur maître futur. Les plus exaltés s'ar- réfèrent, croyant qu'un secret motif politique le faisait agir ainsi. Lorsque Jean de Rieux et Ini, se tenant par la main, se mirent en marcbe vers la cathédrale, tous les suivirent, envoyant aux gens du roi, en guise de suprème avanie, quelques ironiques protestations de respect. - -Messieurs, dit Albert de Gondy qui survenait en ce moment, 'mis en liberté sur l'ordre du sire de Châteauneuf, je vends à qui voudra les acheter mon duché de Retz et mes terres de Bretagne. Item, je fais serment sur mon salut de ne remettre jamais les pieds en cette sauvage ct discourtoise contrée. Un sentiment de fierté nationale se réveilla à ces derniers mots dans l'âme du marquis de Goëllogon. Sauvage, mais loyale, Monsieur le duc, dit-il; discourtoise, mais clémente. Si messieurs de la confrérie eussent agi comme on fait à Paris en semblable cas, vous ne seriez point ici pour les injurier à distance. M. de Retz tint parole; il partit le soir même et ne revint pins. Comme le lecteur a pu le voir, Gauthier de Penneloz ne parut point en tout ceci. Troublé par la crainte des conséquences possibles de cette entreprise folle, qu'il avait conçue et exécutée dans un premier mouvement de rage, mais trop avancé pour reculer désormais, il s'était retiré dans son hôtel, comptant faire partir son captif pour Paris, le lendemain. 'Tant que dura la séance des états, des valets firent le voyage du palais à l'hôtel de Kermel, rapportant au com- mandeur les incidents à mesure qu'ils avaient lieu. Parmi les messages qu'il reçut ainsi, aucun n'était de nature à calmer ses inquiétudes; le dernier annonçait la mise en liberté du chevalier. Gauthier fut atterré; puis, l'excès du péril lui rendant son audace, il se fit habiller à la håte, et prit la route de la cathédrale. Lorsqu'il arriva, Jean de Rieux et Rollan se donnaient l'accolade sur le perron, aux grands applaudissements de la foule. Gauthier s'avança le front haut; le peuple, qui ne savait point son apostasie, s'ouvrit respectueusement pour lui livrer passage. - Messieurs, dit le commandeur en montant les degrés, je viens me joindre à vous pour prier comme pour combattre; mes frères me trouveront toujours prét. Rollan le couvrit d'un regard fixe et sévère, et, se penchant à l'oreille de Jean de Rieux, il dit quelques paroles à voix basse. Gauthier devinait chaque mot, comme s'il l'eût entenda prononcer distinctement; il demeurait immobile, dans l'attitude d'un coupable qui attend son arrêt. Anx premières paroles de Rollan, le sire de Châteauneuf fit un geste de surprise et de violente in- dignation. - N'est-il pas temps de punir tant de perfidie ! s'écria-t-il en touchant son épée. Le courrier lui retint le bras. -Messire, dit-il, cet homme a mon secret, je ne veux point, pour venger un outrage personnel, compromettre le succès de mon envre. Il est impuissant désormais; laissons-le vivre jusqu'an jour où Rollan Pied-de-Fer demandera compte du sang de Julien d'Araugour. Sans s'occuper davantage de Gauthier, il franchit le seuil de la cathédrale. - Il n'a pas osé I murmura le commandeur avec un triomphant sourire; je n'ai plus rien à craindre de lui. Et il passa le seuil à son tour. La vieille église eut peine à contenir la foule qui se pressa dans sa nef ce jour-là. Un Te Deum solennel fut chanté. Nobles et bourgeois avaient motif de se ré- jouir ce jour fut en effet le commencement d'une ère pacifique et glorieuse pour la province de Bretagne. Une négociation s'entama entre Rollan, pour les états, et le cardinal; on peut dire, sans exageration, qu'ils traitèrent de puissance à puissance. Dans ses lettres à son aimé cousin, M. le chevalier d'Avaugour, plénipotentiaire des états, Son Eminence l'engageait, en termes qui ressem- blaient singulièrement à une prière, à ne point allumer le feu de la guerre civile entre les fidèles sujets du roi, lui promettant en récompense, de ne point ramener, par son fait, la question de l'intendance, qui semblait si fort mal sonnante à toutes les oreilles bretonnes. La fin à la prochaine livraison. PAUL FÉVAL. Source gallica batfr/Blöllethèque nationale de France