Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/28

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322 LA SYLPHIDE. par le contrat d'union. Ses efforts avaient élé jusqu'alors couronnés d'un plein succès: Louis XIV était majeur; sa main despolique et puissante pesait saus contrôle aucun sur tout le reste de la France; la Bretagne seule demeurait libre, et semblait à l'abri de l'envahissement du souverain. Les états avaient été convoqués et devaient s'ouvrir sous peu; le chevalier faisait ses prépa- ratifs pour se rendre à Rennes avec la dame d'Avaugour et son fils. Il y mettait une solennité singulière; on eùt dit qu'un important projet germait dans son cerveau. D'ordinaire, le chef de la maison d'Avaugour se faisait remarquer par une extrême simplicité de vêtements, à une époque où les seigneurs bretons rivalisaient de luxe et de fol étalage; cette fois, il ne changea point de mode pour lui-même, mais il voulut que le jeune Arthur, qui venait d'atteindre sa dix-huitième année, cut un équipage de prince. Reine avait deviné son dessein; elle employa inutilement larmes et prières pour l'en détourner. La veille du jour fixé longtemps à l'avance, le chevalier donna de nouveau et péremptoirement l'ordre du départ. Vers le soir, il était seul dans son appartement, la tête penchée entre ses mains; il méditait. Sans doute le sujet de ses réflexions était pénible, car, de temps à autre, les rides de son front se creusaient, il levait les yeux au ciel, et un douloureux sourire venait crrer sur sa lèvre. Tout à coup, il se leva brusquement, comme s'il eût voulu fuir une obsédante pensée. -Quelques jours encore, murmura-il, et tout sera fui. Ce supplice me tue! J'aurais voulu servir de père à cet enfant deux années encore ; je ne puis. Il regarda ses bras amaigris, et essaya vainement de redresser sa taille courbée. - Non, je ne puis, reprit-il avec fatigue. La tâche était au-dessus de mes forces. A l'accom- plir, j'ai dépensé jeunesse, énergie, bonheur... Je ne me repens point; j'ai conservé au fils de mon maitre son héritage intact, droits et richesses je puis me reposer... Pourtant, je n'ai pas fait tout ce que j'avais promis; j'avais fait aussi un serment de vengeance... Il y a si longtemps! le remords a dù le punir, et Dieu pardonne l'oubli de ces serments: si je laissais vivre ce vieillard? Un valet entra, qui annonça la venue d'une femme étrangère, demandant à entretenir sans retard le chevalier d'Avaugour. Celui-ci ordouna qu'elle fût introduite. C'était une femme belle encore, bien qu'elle fût parvenne aux plus extrémes limites de la jeunesse. Son costume était celui d'une riche passanne. Elle entra, et chercha le chevalier d'un regard empressé. - Aune Marker! s'écria-t-il. - Est-ce donc bien vous, Rollan? dit celle-ci, dont un soupir souleva la poitrine. Ceux qui ne m'ont point vu depuis douze ans ont peine à me reconnaître, murmura te courrier avec un amer sourire. Puis il ajouta tout haut: - Anne, qui vous amène vers moi? ne seriez-vous point heureuse? Elle baissa la tête et fut quelques secondes sans répondre. Je suis heureuse, dit-elle enfin avec effort. Dieu m'a fait la grâce de vous oublier, monsci- gneur. J'ai quitté le pays; je me suis établie bien loin d'ici. Je reviens pour vous, non pour moi, et veux vous révéler un secret ; mais il faut me promettre de ne point punir mon mari. Parlez, Anue, je vous le promets. - Monseigneur, ne partez point demain pour Rennes. - Pourquoi ? - Parce que, sur la route, un assassin vous attend. - Qui? Gauthier de Penneloz, commandeur de Kermel. Rollan fit un geste de surprise et d'incrédulité. Il est bien vieux, dit-il. Il est riche et puissant, reprit Anne. L'or achète des bras; le pouvoir force le silence. Rollan semblait hésiter; Anne ajouta à voix basse. Le bras de Corentin, mon mari, est connu à vingt lieues à la ronde comme le plus robuste. Le commandeur, dont il fut longtemps le vassal, ne l'a point oublié. Gauthier de Penneloz est entré l'autre jour dans notre pauvre demeure, il a pris à part Corentin. Je me suis éloignée, mais une voix intérieure m'a dit que le sort d'un homme qui m'est... qui me fut bien cher, allait se décider. Je suis restée à portée de la voix; j'ai entendu ; et me voici venue, Monseigneur, pour sauver votre vie et celle de votre héritier. Arthur! s'écria Rollan impétueusement. A-t-il donc aussi menacé la vie d'Arthur? Demain, votre fils et vous serez attaqués sur la route de Rennes. J'aurais voulu l'épargner, murmura Rollan, qui se prit à parcourir la chambre à grands Source gallica.bnf.fr/Blbllothéque nationale de France