Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/30

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324 LA SYLPHIDE. le jour où cette usurpation cesserait d'être un sacrifice, elle deviendrait une faiblesse, sinon un crime. Il avait tout préparé pour l'accomplissement de sou projet; la révélation d'Anne Marker lui fit seulement avancer son départ de quelques heures. Le soir même, il monta à cheval avec Ar- thur et prit la route de Rennes. Le lendemain, ses gens devaient escorter une chaise fermée et vide. Anne avait dit vrai; les serviteurs d'Avangour arrivèrent en grand désordre à Rennes le surlendemain: le carrosse avait été attaqué à la tombée de la nuit, la veille, par une troupe de malfaiteurs. Rollan savait désormais à quoi s'en tenir. Dès le commencement de la séance d'ouverture, on vit entrer le chevalier d'Avaugour, con- duisant son fils par la main. Le chevalier n'avait point le costume d'un membre noble: il était enveloppé d'un long mantean. Arthur, au contraire, éclipsait, par la magnificence de ses habits, les plus fastueux seigneurs; il portait comme il faut ses dentelles et son velours; tous durent ad- mirer la fière mine qu'avait le jeune héritier du sang ducal. Rollan jeta tout d'abord un regard sur les bancs de la noblesse; le commandeur était là, qui lui envoya de loin un profond salut; Rollan passa; mais avant de prendre, comme d'habitude, le fauteuil de la présidence, il s'avança vers le sire de Châteauneuf. 1 Messire Jean, dit-il, je vous fis, il y a onze ans, une promesse; je viens aujourd'hui l'ac- complir. - Mon cousin, dit le sire de Châteauneuf en lui serrant la main avec respect; je ne vous l'eusse point rappelée; loin de là, je vous supplie, restez ce que vous êtes pour le bien de tous. - - La mort de mon seigneur et frère reste à venger, et j'ai fait un serment. - Donc, à votre volonté, mon cousin. Jean de Rieux se rassit d'un air triste. Rollan prit la main d'Artbur et lui fit monter les degrés de l'estrade. Le jeune homme, confus et rongissant, se laissait conduire. Rollan lui montra du doigt le fauteuil; Arthur obéit et prit place. Un murmure se fit sur tous les bancs à la fois. - Monsieur le chevalier, s'écriait-on de toutes parts, que veut dire, s'il vous plait, cette co- médie ? Le chevalier, en guise de réponse, se débarrassa soudain de son manteau; l'assemblée vit avec surprise qu'il portait en dessous un costume de roture: veste ronde, culotte de drap, le tout serré par une ceinture de cuir. Messeigneurs, dit-il d'une voix haute et ferme, je viens faire amende honorable: voici devant vous l'unique rejeton d'Avaugour, Arthur, chevalier, seigneur d'Avaugour, Goello et autres lieux, comte de Vertus. Moi, j'ai nom Rollan Pied-de-F'er, et demande grâce pour mon larcin de no- blese. Bien peu se souvenaient de Rollan Pied-de-Fer; la plupart crurent que le chevalier était pris d'une subite folic. Arthur était descendu de son siège et serrait le courrier dans ses bras; Jean de Rieux s'était approché en même temps. Cependant le tumulte redoublait dans la salle ; quel- ques nobles, indignés d'avoir été si longtemps présidés par un vilain, parlaient déjà de châtiment exemplaire; il est notoire que cette caste, de tout temps si fertile en grands hommes, sut aussi produire à foison des colosses d'orgueilleuse ineptie. - - Mon père? qu'est devenu mon père? demanda enfin Arthur d'Avaugour. Le commandeur de Kermel s'était levé dès le commencement de cette scène; Rollan l'aperçut qui fendait péniblement la foule, et se dirigeait vers la porte. Gauthier de Penneloz, dit-il, je vous somine de rester en ce lieu. - De quel droit parle ici ce vassal ? demanda dédaigneusement le commandeur. Nulle voix ne s'éleva pour défendre Rollan; il baissa la tête, navré de cette incroyable ingrati- tude; mais Jean de Rieux lui pressa la main avec force; il se redressa aussitôt, et toucha le bras d'Arthur. - Votre père, Messire, dit-il, répondant seulement alors à la question du jeune homme; volre père fut assassiné; Voilà son assassin. Il montrait Gauthier de Penneloz; celui-ci s'arrêta et croisa ses bras sur sa poitrine. - Qu'est-ce à dire ? s'écria-t-il; m'obligera-t-on à repousser sérieusement pareille infamie ?... Est-ce moi qui ai volé les noms et les titres de mon malheureux parent, Julien d'Avangour? Est- ce moi qui si usurpé ses domaines? Sa veuve est-elle ma femme ?... Assez, assez! criait la foule; justice soit faite du manant! Les gens du roi de France, ravis de se venger ainsi de cet homme qui avait fait tant de mal à leur canse, attisaient sous main le désordre. Arthur restait immobile; il doutait, tant la parole d'un gentihomme avait de poids dans la balance. Mais ce doute était pour le pauvre enfant une Source gallica.bnf.fr/Blollothèque nationale de France