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ROLLAN PIED-DE-FER[1].

II.



I

l y avait alors en Bretagne des symptômes de rébellion imminente. Les états avaient refusé hautement, et à plusieurs reprises, de reconnaître l’autorité illégale des intendants royaux ; le peuple murmurait et réclamait ses anciennes franchises, sans trop savoir, comme d’habitude, ce en quoi consistait l’objet de ses réclamations. Outre ces deux oppositions avouées et marchant au soleil, il en était une autre, sorte de franc-maçonnerie, dès longtemps organisée, et dont l’origine pouvait remonter aux premiers jours de la réunion du duché au royaume : les Frères bretons avaient des adeptes dans toutes les castes, mais se recrutaient surtout parmi les gentilshommes. Leur but était en apparence le maintien des privilèges de la province ; mais la plupart allaient plus loin, et voulaient qu'on proclamât l’indépendance de la province.

Les Frères bretons, un œil fixé sur Paris, l’autre sur l’Angleterre, attendaient avec impatience l’occasion d’engager la lutte. Ils ne doutaient en aucune façon du succès ; leur unique embarras était le choix d’un duc. Il y avait alors grand nombre de familles tenant, soit par agnation, soit par alliance, au vieux trône ducal. Rohan, Rieux, Goello, Avangour, pouvaient faire valoir des droits presque égaux ; après eux, venaient les Penneloz de Kermel, descendance prétendue des vicomtes de Porhoët ; les Botherel, les Fergent de Coatander, et une foule d’autres maisons que des titres contestables, parfois une simple ressemblance de nom, portaient à se mettre sur les rangs. Entre tous ces prétendants, trois seulement avaient des chances, c'est-à-dire des partisans. Les Rohan étaient trop sérieusement occupés à Paris, par les intrigues de la Fronde, pour voir clair à ce qui se passait en Bretagne ; les Rieux, cette superbe race, se tenaient à l'écart avec un silencieux dédain. Restaient donc Julien d’Avaugour, unique héritier du nom ; Reine de Goëllo, fille du dernier comte de Vertus, et Gauthier de Penneloz, commandeur de Kermel. Celui-ci, devenu chef de famille par la mort de son aîné, postulait à Rome et près du conseil de l’ordre, à Malte, pour obtenir l’annulation de ses vœux.

Julien, chevalier d’Avaugour, avait un fort parti ; ses preuves étaient simples et claires : il écartelait de Bretagne, et ne portait point, comme les Goello, la barre de bâtardise en son écusson. Personnellement, c’était un noble et vaillant jeune homme ; il avait beauté, hardiesse, fortune et générosité, ces vertus nécessaires du chef de parti ; mais sa jeunesse s'était passée en Allemagne et à Paris ; ses ennemis demandaient s’il n'avait point dérogé ainsi à sa qualité de Breton. Bien peu le connaissaient. Lorsqu’il revint à Rennes en 1647, accompagné de Rollan Pied-de-Fer, il ne se fit voir à personne, et gagna presque aussitôt le château de Goello. Le commandeur y résidait en ce moment avec sa pupille, Reine de Goello : on crut que Julien d’Avaugour désirait s’abou-

  1. Voir page 257.