Page:Féval - Rollan Pied-de-Fer (1842).pdf/8

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cher avec son rival. Le crédit de ce dernier reposait entièrement sur sa qualité de tuteur de l'hé- ritière de Vertus. Gauthier de Penneloz, en effet, après avoir, d'autorité, pris la place de son frère mort, s'était haté d'annoncer hautement son mariage avee Reine; la jenne file, disait-il. l'avait choisi librement pour époux, et attendait impatiemment que la décision de la cour de Rome permit de passer outre au mariage. Par cette manoeuvre, le commandeur réunissait sous sa ban- nière les créatures des Penneloz et les partisans de la maison de Verlús. Julien et lui n'étaient point étrangers l'un à l'autre, ils s'étaient trouvés ensemble à Paris, où Gauthier de Penneloz avait conduit sa pupille en 164 1. Reine de Goello, à peine agée de seize ans, s'était livrée avec une joie d'enfant aux plaisirs de la cour. Pendant dix-huit mois, ce ne furent que bals et fêtes.où elle ne manquait pas de rencontrer le chevalier d'Araugour. Julien soutenait noblement son nom : il était cavalier de haute mine, et passait à bon droit pour brave: ses équi- pages faisaient envie aux plus galants. Reine fut heureuse de voir un gentilhomme de Bretagne, son cousin, briller au milieu de la première cour du monde; sans se l'avouer, elle l'aima; Julien l'avait devancée. Mais l'intelligence des deux amants ne levait pas tous les obstacles. Reine crai- gnait son tuteur, et savait qu'il ne consentirait jamais à cette union; elle alla jusqu'à supplier Julien de ne tenter aucune démarche près du commandeur. Dans cette conjoncture, une seule voie restait ouverte : on ne faisait point sa maitresse d'une Goello: Reine et Julien se marièrent secrètement. Ce fut vers cette époque que Rollan Pied-de-Fer quitta la Bretagne. Le chevalier d'Avaugour avait besoin d'un homme sûr et complétement dévoué; il fit choix de son frère de lait. Rollan reçut la confidence du chevalier; il mit à le servir son zèle et son ardeur ordinaire, mais on au- rait pu voir que, dans le cœur du courrier, une mystérieuse répugnance combattait, cette fois, son habitude de dévouement. C'est que Rollan aimait, lui aussi, Reine de Goello; non pas, il est vrai, de cet amour qui vit d'espoir et marche, lent ou rapide, vers un but, mais d'une adoration lointaine, Limorée: culte du vassal pour la noble dame, culte muet, religieux, mais jaloux. Reveur et poète, comme tous les hommes de solitude, il avait vu souvent, lorsque sa vagabonde profession le con- duisait vers Goello, il avait vu aux fenêtres du manoir une jeune fille seule et pensive; il s'arrêtait alors; caché dans le feuillage, il contemplait l'enfant durant de longues beures. Quand elle dispa- raissait, le courrier reprenait sa route; mais il emportait au fond du cœur l'image de la jeune fille, et cette romanesque pass'on lui tenait lieu de tout autre amour. Lorsqu'il retrouva celte jeune fille dans l'épouse que s'était choisie le chevalier, son seigneur et son frère, il fut blessé à l'âme; néanmoins il n'hésita pas. Grâce à lui, le mariage fut célébré; grâce à lui encore, les époux pu- rent se voir avec sécurité. 'Toutes les nuits, un gentilhomme richement vêtu se tenait dans l'ombre, à quelques pas de la porte du Louvre. A l'heure où le bal se fait fumultueux, Julien d'Avaugour et sa femme dispa- raissaient. Alors le gentilhomme, dont les habits étaient exactement ceux de Julien, montait les degrés et se mêlait à la fête : c'était Rollan. Une ressemblance réelle, aidée par la complète con- formité de costumes, favorisait la ruse : nul ne s'apercevait de l'absence du chevalier. Cela dura une année. Un soir, au bout de ce temps, seigneurs et dames venaient d'entrer au Louvre; Anne d'Autriche donnait bal. Pendant que les violons du roi exécutaient le menuel en vogue, il se passait, à l'angle de l'une des immenses galeries, une scène étrange : une femme, le visage voilé d'un demi-masque, tombait pamée entre les bras d'un gentilhomme. - Sauvez-moi disait-elle. Le gentilhomme, à ces mots, saisit un moment où nul regard n'épiait ses mouvements, et couvrit la femme de son manteau; quelques secondes après, elle était étendue sur les coussins d'un car- rosse, Hélas, mon Dieu! disait Reine de Goello; Monsieur mon tuteur va tout savoir: je suis perdue! - J'ai tout prévu, répondait Julien, qui entourait sa jeune femme des soins les plus tendres et es plus empressés. Le carrosse s'arrêta au portail de l'hôtel d'Avaugour, un médecin fut appelé. Le chevalier reçut dans ses bras un enfant du sexe masculin, que l'on nomma Arthur; Reine, épuisée, prosque mourante, regagna péniblement l'hôtel de son lateur. Le courrier attendait, comme d'ordinaire, à la porte du Louvre, lorsque M. d'Araugour sortit, portant Reine dans ses bras; Rollan monta le grand escalier et lit son entrée dans les salons. La ressemblance des deux frères de lait, sans être parfaite, élait, nous l'avons dit, remarquable; aux Jeux des gens qui n'avaient point soupçon de la supercherie, cette ressemblance pouvait aise- ment faire illusion. Mais il y avait au Louvre un homme que son intérêt, sinon sa passion, de Source gallica bnf.fr/Bibliothèque nadonale de France