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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

par la combustion du sang au moyen de l’air ; elle cesse à peu près de respirer, pour économiser le combustible emmagasiné dans ses petites veines et le faire durer jusqu’à la réapparition des insectes à la belle saison ; elle s’endort enfin au fond de quelque grotte, d’un sommeil qui ressemble à celui de la mort. Les oiseaux n’ont pas la faculté de ralentir ainsi la vie, de la suspendre momentanément ; ce sont les calorifères animés les plus actifs du monde, toujours en ardeur, toujours en tirage énergique, ainsi que l’exige le violent exercice du vol. Leur température, pendant l’hiver comme pendant l’été, est de quarante-deux degrés ; elle n’est que de trente-huit pour l’homme. Quand pareil foyer doit être entretenu sans jamais faiblir, allez donc songer à vous endormir des six mois durant, sous prétexte que la nourriture manque. C’est de toute impossibilité.

Que font alors les oiseaux ? Ne pouvant recourir au procédé de la chauve-souris, ils prennent une résolution hardie. Ils abandonnent le pays natal, bientôt dépeuplé d’insectes par le froid ; ils s’en vont bien loin, le cœur navré, mais avec l’espérance de revenir un jour ; ils émigrent, les forts réconfortant les faibles, les vieux, experts en voyages, guidant les jeunes, inexpérimentés ; ils s’organisent en caravanes et fuient vers le sud, vers l’Afrique, où les attendent nourriture abondante et soleil plus chaud ; sans autre boussole que l’instinct, ils franchissent la mer, la mer immense, où de loin en loin à peine surgit des eaux la halte d’un îlot ; beaucoup périssent dans la traversée, beaucoup arrivent exténués de faim, brisés de fatigue, mais enfin ils arrivent.

Jules. — Ce doit être un dur moment pour les hirondelles que celui du départ.

Paul. — Moment très dur, en effet, car l’oiseau s’arrache aux lieux aimés, aux lieux qui l’ont vu naître, pour affronter les fatigues et les dangers d’un voyage énorme, voyage dans l’inconnu pour le plus grand nombre. Le jour du départ est fixé en grande assemblée, vers la fin d’août pour les hirondelles de fenêtre et de rivage, plus tard, jusqu’en octobre, pour l’hirondelle de cheminée. Une fois l’époque arrêtée, les hirondelles de fenêtre s’attroupent plusieurs jours de suite sur le couronnement des édifices élevés. À tout instant, des bandes se détachent de l’assemblée générale pour tournoyer dans les airs avec des cris inquiets, revoir encore une