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POUR QU’ON LISE PLATON

que le sentiment de sa stupidité. Remarquez que les autres passions se défendent mieux, par des sophismes moins ridicules, par des raisons qui sont moins déraisonnables que ne peut faire l’injustice. Il est certain que le passionné proprement dit qui satisfait sa passion a une jouissance réelle. Ce qu’il y a de mauvais dans son affaire, c’est que cette jouissance aura des suites très fâcheuses et aussi que la puissance de jouir s’épuise par son exercice même et laissera le passionné seul avec sa passion augmentée et ne pouvant plus se satisfaire. Cela est désagréable ; mais enfin le passionné a des plaisirs qui ne sont pas niables. On se demande quel peut être le plaisir de l’injuste commettant l’injustice.

Il croit évidemment avoir le plaisir de se sentir puissant. Faire l’injustice, c’est détruire l’ordre, et détruire l’ordre peut être un plaisir de perversité, mala gaudia mentis. Exemple : un homme qui démolit un beau temple ou brise une belle statue. Mais, outre que déjà ces plaisirs-là sont contestables, étant assez vraisemblablement des maladies et une maladie ne pouvant guère s’appeler un bien, le plaisir particulier et propre, pour y revenir, de l’homme injuste commettant l’injustice, est une illusion et une illusion qu’on doit reconnaître comme illusion au moment même où l’on s’y aban-