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POUR QU’ON LISE PLATON

donne et dans l’instant même où l’on veut la goûter. L’iconoclaste brise une statue qu’il voulait briser, il n’y a rien de plus réel. L’homme injuste ne détruit pas du tout la justice et il sent qu’il ne la détruit pas. Il doit sentir seulement qu’il contribue à la faire vivre et à la faire éclater. L’homme injuste qui fait condamner Socrate à mort tue Socrate qu’il détestait. Soit. Comme envieux il peut jouir ; mais comme homme injuste il ne jouit pas ; car Socrate en tant qu’homme est mort, mais en tant que juste il vit plus que jamais, rayonne et éclate de la beauté du juste plus que jamais.

Donc l’homme injuste qui veut détruire la justice non seulement ne la détruit pas ; mais il la rétablit, la répare et la crée. Il est l’homme qui en détruisant une statue la redresserait plus belle. Personne au monde n’est plus dupe que lui.

Or cette duperie et que c’est lui qui est la dupe, il le sent. Il le sent certainement, parce que, pour le sentir, il n’est pas besoin d’avoir le goût ou le sens de la justice, lesquels il n’a pas, mais il suffit de n’être pas un imbécile et de voir les faits.

Il n’y a rien donc, à tous les points de vue, de plus vrai que ce paradoxe qu’il vaut mieux subir l’injustice que la commettre et qu’il est beaucoup plus malheureux de commettre l’injustice que d’en être victime.