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POUR QU’ON LISE PLATON

Ce qui trompe les sophistes sur ce point, c’est leur théorie ou leur passion de volonté de puissance. Le bien de l’homme, croient-ils et répètent-ils toujours, quand on les presse, c’est d’être fort. Dominer dans sa cité, voilà le bien ou le bonheur ; voilà l’idéal à poursuivre. Et quand on leur demande : « Dominer pour le juste ou pour l’injuste ? » ils répondent : « Peu importe ! Dominer. » Et remarquez que si on les poussait encore ils répondraient, s’ils mettaient de côté toute dernière fausse honte : « Plutôt pour l’injuste que pour le juste » ; et ne laisseraient pas d’être assez logiques en le disant. Car l’homme qui domine pour le juste n’a pas l’air tout à fait de dominer ; il n’a pas l’air tout à fait de déployer sa volonté de puissance et de la satisfaire. Il domine selon les dieux ; il domine selon la loi religieuse, il domine selon la loi sociale ; il n’a pas l’air de dominer selon lui-même. Il n’a l’air que d’exécuter, non de gouverner ; il a l’air du ministre de quelqu’un ou de quelque chose et il n’a pas l’air d’un maître.

Cela est assez vrai. Mais s’il y a deux illusions, il y en a une qui est beaucoup plus forte que l’autre. L’illusion qui consiste à croire que l’homme qui gouverne selon la justice ne gouverne pas lui-même est enfantine, fût-elle partagée par celui-là même qui gouverne ainsi. Car l’homme