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POUR QU’ON LISE PLATON

l’éternité pour peu qu’il la conçoive. Mettre un peu d’éternité dans le moment c’est ôter au moment son aiguillon. C’est tout ce que nous pouvons faire ; mais nous le pouvons et dès lors dire à la douleur : « où est ta force contre l’éternel ? Je ne suis pas éternel, mais je vis un peu en la compagnie de l’éternité. Tu me touches ; mais ne me troubles pas » ; et dire au plaisir : « quel est ton sens dans l’éternité ? Très insignifiant. Tu me fais sourire mais ne m’enivres pas. Eternité est sérénité. Je n’ai que quelque chose de cela en moi ; mais il suffit pour que je ne dépende pas tout à fait de la vie, pour que je ne dépende pas tout à fait du moment, qui fuit en donnant une caresse ou en faisant une blessure. »

Un des meilleurs moyens d’honorer son âme c’est de la rendre — ce à quoi du reste elle tend naturellement — c’est de la rendre indépendante de la vie dans la mesure du possible.

Si l’on tâche à la rendre indépendante de la vie, il faudra donc s’appliquer à la rendre indépendante de l’amour. Ceci est une question d’une assez grande importance, sur quoi il n’est pas mal à propos de s’arrêter quelque temps. L’amour, à le considérer tel que nous le voyons tous les jours de nos yeux, est une chose qui ne serait que la plus ridicule du monde si elle n’était la plus funeste et