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POUR QU’ON LISE PLATON

pétrarquistes italiens et français, jusqu’à ceux qui, démêlant son côté faible et par où elle pouvait être comique, montrent des amants hypocrites disant qu’ils adorent dans l’objet aimé « l’auteur de la nature » et « le plus beau des portraits où lui même s’est peint ».

Présentée ainsi, elle a sa beauté et n’est point tout à fait fausse. Elle voudrait dire peut-être, en langage positiviste, que le réel éveille le rêve et que le particulier éveille le général, que nous ne pouvons rencontrer une beauté finie sans rêver de quelque chose qui serait beauté infinie, parfaite et impérissable ; aussi que nous ne pouvons rencontrer un objet particulier et déterminé qui est beau sans rêver de toute la beauté répandue sur la terre et imaginable dans le monde ; qu’en un mot l’imagination indéterminée et indéterminante est mise en branle par les objets déterminés et cherche toujours à suppléer à leur pauvreté ou à leur insuffisance et que Musset, qui peut-être s’y connaissait, a été plus platonicien que personne, sans rêverie métaphysique, en disant :

…N’est-ce point la pâle fiancée
Dont l’ange du désir est l’immortel amant ?
N’est-ce pas l’idéal, cette amour insensée,
Qui sur tous nos amours plane éternellement ?

La théorie est donc très belle et a un certain fond