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POUR QU’ON LISE PLATON

manière dont la foule le conçoit, et encore après qu’il aura mis successivement dans sa manière de concevoir le beau les façons successives et contradictoires dont la foule le conçoit, ce qui lui restera de son goût à lui et de sa vision propre ou de sa réminiscence personnelle de la beauté.

« Ajoute ceci : la perte de temps. Cet artiste, il aura dû : étudier le goût public, en lui-même, ce qui est possible, je crois, et dans les succès ou insuccès de ses confrères, l’analyser, le formuler, s’en faire une idée nette ; et puis il aura dû le suivre dans ses changements successifs et ses variations rapides et quelquefois déconcertantes. Et maintenant ce que je me demande, c’est quels moments lui seront restés pour travailler.

« Surtout je me dis que de vouloir contenter le goût public, c’est se détacher continuellement de soi-même et se fuir soi-même continuellement. Or l’artiste n’a pas trop de toutes ses forces pour ranimer en lui et raviver en lui les réminiscences de beauté qui lui sont propres, et son devoir d’artiste est précisément de se ramener en soi au lieu de se prêter à autrui. Reste donc qu’il se plaise à lui-même et non pas qu’il plaise aux autres. Le devoir de l’artiste est de se plaire, de créer une œuvre dans laquelle il se plaise. Le but de l’art