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Page:Fanny-clar-la-rose-de-jericho-1916.djvu/13

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à peu près barré par deux grandes malles, un carton à chapeau, une volière, autour de laquelle Caton rôdait, curieux et intéressé.

Chemargues vint attendre Pierre arrêté par les malles.

— Débrouille-toi au milieu de ces obstacles, ricana le professeur. Des affaires de femme, c’est tout de suite encombrant.

Tendant alors la main à Pierre, le tirant, le poussant, il l’introduisit au milieu du salon si rangé, si calme habituellement.

Dans un fauteuil, vêtue de gris clair, une jeune femme était étendue, nonchalante.

— Ma nièce, présenta Chemargues d’un geste brusque.

Pierre s’inclina et ne sut comment il fit rouler à terre un manteau jeté avec une écharpe sur une chaise. Un rire clair l’emplit de confusion.

— Mon pauvre vieux, dit Marcel Chemargues, tu es comme moi, pas très à ton aise, parmi ces affutiaux. Assieds-toi là.

D’une bourrade il l’installa dans un autre fauteuil. Pierre alors regarda la jeune femme, qu’il avait à peine entrevue. Allongée paresseusement, elle possédait, petite et frêle, une grâce de fleur ployée par l’orage, un charme fait d’on ne savait quoi, d’un regard, d’un geste, d’un pli de la lèvre. Au repos, son visage paraissait insignifiant. Quand elle parlait et surtout quand elle riait, elle captivait d’un irrésistible attrait. Pierre ne se sentit nullement gêné devant elle et comme elle riait encore, il sourit.

— Vous avez dû, madame, dit-il, me prendre pour un sauvage, d’entrer aussi maladroitement. C’est un peu la faute à votre oncle. Jamais, d’ailleurs, il ne s’était vanté de posséder une nièce.

— Il y a bien de quoi, grogna Chemargues, tandis que la jeune femme secouait gaiement la tête, écartant sur son front ses cheveux noirs, qui s’enroulaient en boucles indisciplinées.

— Que vous êtes méchant, mon oncle !

— Je vais t’expliquer la situation, reprit Chemargues, debout et tourné vers Pierre. Voici madame, qui est la fille de ma chère sœur. Or, ma sœur est considérablement toquée. Après avoir, selon la coutume des mères d’un certain monde, traîné sa fille dans tous les coins de l’univers pour lui dénicher un époux, elle n’a rien eu ensuite de plus pressé que de démolir le ménage de sa fille. D’ailleurs, le gendre est un vaurien, noceur et paresseux.

— Oh ! mon oncle, soupira la jeune femme, avec une moue d’enfant.

— Enfin, il faudrait s’entendre. Si tu l’aimes, rien de mieux. Il y a un train toutes les demi-heures. Tu peux partir de suite.

— Mon Dieu ! mon oncle, fit-elle, les yeux pleins de larmes, que vous êtes mal élevé.

— C’est vous, hélas ! mes pauvres enfants, qui êtes mal élevées, bougonna Chemargues radouci. Sitôt que vous savez vous tenir sur vos pieds, on vous enseigne à tisser la toile où se prendra le godelureau qui vous épousera. Si vous tombez sur un bon garçon, c’est lui qui sera le dindon de l’affaire. Si, au contraire, c’est vous qui êtes volées dans ce joli marché, vous êtes perdues. On ne vous a point appris à vivre par vous-même et pour vous. En définitive, que comptes-tu faire ?