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closes. Selon l’habitude, les allées se trouvaient soigneusement ratissées. Les parterres de géraniums éclataient de pourpre, auprès du banc. Du rosier grimpant, une rose s’effeuilla. Toutes ces choses familières d’un ami, qui vous appartiennent un peu, lui devinrent étrangères. Caton n’était point sur le perron, parti vers quelque mystérieuse aventure.

Pierre soupira lentement, non sans se retourner plusieurs fois, reprit le chemin de la gare. Revenir à Paris de suite lui parut insupportable. Il se traîna vers un petit café où déjà il était venu avec Chemargues. Au milieu de la cour sablée, un bosquet offrait un asile verdoyant contre la réverbération des allées chauffées de soleil. Il s’y assit, et lorsqu’il eut devant lui un verre de bière tiède, une telle lassitude l’accabla, qu’il décida de dîner là.

Au moment où il entamait un potage fade, deux jeunes filles entrèrent, en parlant, dans la cour. L’une, grande et mince, s’était vêtue d’une robe blanche un peu défraichie, qui parait néanmoins son jeune corps flexible. Elle avait jeté sur ses épaules une écharpe, blanche aussi. Dans son visage, sans beauté spéciale, deux yeux grisâtres attiraient par leur éclat. Un immense chapeau bergère, garni de façon voyante, battait légèrement sur ses cheveux blonds. Sa compagne, mal habillée d’une robe verte démodée, possédait un visage irrégulier, mais d’une drôlerie infinie, avec le pétillement des yeux vifs. Un vilain chapeau emplumé lui complétait une silhouette bizarre.

Traînant ses pieds las, le garçon vint au devant des jeunes filles. Elles parlementèrent à voix basse, avec ce blême serviteur. Aux regards qu’on lui jetait, Pierre comprit qu’il s’agissait du bosquet : Il aurait volontiers offert sa table, mais il n’osa. Plus hardie, la demoiselle au chapeau bergère vint à lui :

— Cela vous gênerait-il, monsieur, que nous dinions près de vous, sous cette charmille ?

— Du tout, répondit Pierre avec empressement.

Tandis que le garçon partait chercher deux couverts, les deux jeunes filles, tout en babillant, accrochèrent chapeaux et écharpe au treillage. La blonde se trouva en face de Pierre.

Nul embarras ne gêna le repas, Au contact de cette jeunesse, Pierre se sentit rasséréné. Il apprit que la blonde s’appelait Clotilde. Elle était danseuse et sa camarade choriste. Toutes deux jouaient dans une féérie au Châtelet.

Pierre les écoutait amusé, oublieux des heures mauvaises dont il venait de subir la dépression. Il aurait embrassé Chemargues de s’être absenté. De l’audace lui vint : il offrit deux bouteilles d’un vin dont l’étiquette et la poussière étaient authentiques. Ses compagnes, les joues rosées, jacassaient de mieux en mieux, mêlant des éclats de rire à leurs propos menus. Les coudes sur la table, animé de cette gaîté, Pierre Boissonou s’abandonnait à une allégresse qu’il ne se souciait guère d’analyser.