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Page:Fanny-clar-la-rose-de-jericho-1916.djvu/18

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violente, une flambée de désir, une soif fiévreuse de boire à une source de joie. Voyageur trop sage, Pierre s’apercevait que la mort peut surgir soudain et qu’elle vient parfois vous étreindre avant qu’on ait vécu.

Pierre allait à la dérive, sans résister. Toute la jeunesse assoupie en son cœur se réveillait à la voix d’une jeune fille. Il la connaissait à peine. Pour lui déjà, elle se parait de toute la splendeur dont la passion embellit l’être aimé. Elle n’était qu’une petite danseuse qui gagnait son pain le soir, la figure grasse de fard, dans un décor grossier de bois et de toile peinte. Son âme lui restait inconnue. Elle l’asservissait de son charme de fraîcheur et de jeunesse, rare trésor, dont la possession ensoleillerait ses jours graves.

Pierre ayant un jour parlé à Clotilde de la statuette de pierre rose, elle désira la voir.

Ce lundi-là, eut lieu cette chose extraordinaire : Pierre monta son escalier les bras encombrés d’une gerbe de roses, de paquets de bonbons et de petits fours. Avec une fougue de bachelier, attendant sa première maîtresse, il disposa le goûter, changeant sans cesse de place quelque objet, guettant les sens en tumulte les pas qui montaient l’escalier.

Le logis de Pierre lui parut s’illuminer. Tout y semblait rire, la porte de sa chambre close, le miroir resta muet. L’eût-il écouté ? La chanson de tendresse chantait si haut qu’elle faisait taire toute voix mauvaise. Vieux lui, il n’y pensait guère, avec son cœur si neuf pour la charmante amie que le destin lui avait doucement amenée.

Elle vint, avec Marguerite, à peu près exactes à l’heure donnée. Intimidées d’abord toutes deux, elles s’assirent, mais Pierre les conduisit vers les insectes, aux carapaces étranges patinées de reflets de métaux précieux. Elles furent émerveillées. Leur esprit de petites filles coquettes assimila une idée de bijoux à la vue de ces bestioles dont l’éclat restait très vif. Délivrées de toute gêne, elles furetèrent, curieuses, amusées. La statuette de pierre rose ne les ravit point.

— Il y en a de pareilles au musée du Louvre, prononça Clotilde, avec un certain dédain.

Elle affectait un parler réservé, choisissait ses mots, soucieuse d’un langage moins lâché que celui du monde où elle vivait. Pierre lui abandonna la direction du goûter. Clotilde jouait à la grande dame en visite, de la façon conventionnelle dont au théâtre elle avait vu recevoir, la jambe tendue, le corps à demi tourné, pour faire valoir la grâce d’une nuque qui ploie.

Pierre écoutait pour approuver, regardait pour admirer, tendait instinctivement les mains pour retenir le bonheur auquel il s’abandonnait, sans volonté.

Après que Clotilde et Marguerite furent parties, emportant les roses, le naturaliste resta longtemps assis, la tête dans sa main. Un parfum de poudre de riz bon marché flottait dans la pièce. La petite danseuse de pierre souriait, sans mystère désormais. Mabel avait dit : « … elle reviendra esquisser quelques pas légers. »

Elle était revenue et Pierre avait perdu l’esprit. Il se le répétait, et n’en souffrait pas. Pourtant, alors, il s’interrogea. Qu’espérait-il ? Épouser cette enfant ? Certes, mais à son âge n’était-ce point ridicule ? Néanmoins, comme il saurait l’aimer ! La danseuse était pauvre, Pierre avait surpris, dans les propos qu’elle échangeait avec la choriste, un accent d’amertume jalouse, à propos d’une parure, d’un bijou. Il assurerait à cette jeunesse la sécurité de la vie, les joies de la coquetterie