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FEUILLETON DU 10 OCTOBRE 1916

3
LA ROSE DE JÉRICHO
par
FANNY CLAR

— SUITE —

D’un geste gracieux, l’étrangère salua Pierre. Gauchement, il lui rendit son salut et il quitta la boutique du père Menant, emportant le souvenir charmé d’un sourire.

Le vieux libraire mettait à la disposition de ses habitués une petite pièce attenant à la boutique. On pouvait parcourir les revues, lire ou écrire dans un calme quasi provincial. Pierre y retrouva la jeune fille. Elle vint à lui, la main tendue, avec une cordiale simplicité. Plusieurs jours de suite ils se revirent.

Pierre apprit que miss Mabel Dowe, une des nombreuses filles d’un pasteur, était née en Amérique. Venue se perfectionner dans la langue française, elle vivait seule à Paris. D’esprit éclairé, ayant résolument rompu avec les idées mystiques familiales, elle apportait à son travail une conscience obstinée, une grande ardeur de comprendre. Son parler, parfois hésitant, gagnait en images pittoresques ce qui lui manquait de précision.

Pierre revenait maintenant chez le père Menant avec l’espoir d’y rencontrer Mabel. Peu à peu, sans qu’il y prît garde, l’amour s’insinuait en son cœur vierge. Il s’en empara despotiquement, de toute la force amassée d’une tendresse contenue qui, sauf pour une mère tendrement chérie et pour le vieil ami, n’avait pas eu à s’expanser.

Dans leurs fréquentes causeries, Mabel contait à Pierre ses travaux. Elle se passionna pour les siens, travailla même sous sa direction. Sereine, gaie, suivant assidument les cours de la Sorbonne, courant les expositions, elle menait les journées laborieuses d’une jeunesse qui sait ce qu’elle demande à la vie.

Ils sortirent ensemble. Mabel goûtait sans arrière-pensée ces promenades. La joie physique de la marche s’y mêlait au régal d’une conversation agréable avec un compagnon dont elle avait de suite deviné la loyauté.

Vous êtes pas pareil à tant de Français, disait-elle. D’habitude vous ressemblez trop à des pigeons qui font la roue. Vos compatriotes, ils ont beaucoup le défaut de ne pas devenir graves. La vie, vous croyez ça une blague, et quand vous savez vous avoir trompés, vous tapez des pieds, vous mettez vous beaucoup en colère, mais si vous faites une plaisanterie, vous êtes consolés. Souvent vous partez pour accomplir de tout à fait grandes choses, puis en route, vous dites une pensée drôle et vous savez plus pourquoi vous êtes en route.

— Vous croyez, miss Mabel ?

— Certes, je crois, et cela est fâcheux parce que vous êtes très généreux, très aimables. Puis, pourquoi vous dites beaucoup du mal de vous et vous en pensez beaucoup du bien ? Oh ! je sais que vous ne faites pas ainsi… terminait-elle en levant la main d’un geste qui lui était familier.

— Et des Américains, miss Dowe, interrogeait Pierre, qu’en dites-vous ?