Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/312

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moins pour vous que pour nous, hommes. Je sais que plus d’une femme me répond, à part elle : Mais à quoi bon toutes ces connaissances, tout ce savoir, toutes ces études ? à quoi bon ? Je pourrais répondre : à élever vos enfants, et ce serait une bonne réponse, mais comme elle est banale, j’aime mieux dire : à élever vos maris. (Applaudissements et rires.)

L’égalité d’éducation, c’est l’unité reconstituée dans la famille.

Il y a aujourd’hui une barrière entre la femme et l’homme, entre l’épouse et le mari, ce qui fait que beaucoup de mariages, harmonieux en apparence, recouvrent les plus profondes différences d’opinion, de goûts, de sentiments ; mais alors ce n’est plus un vrai mariage, car le vrai mariage, messieurs, c’est le mariage des âmes. Eh bien, dites-moi s’il est fréquent ce mariage des âmes ? dites-moi s’il y a beaucoup d’époux unis par les idées, par les sentiments, par les opinions ? Il se rencontre beaucoup de ménages où les deux époux sont d’accord sur toutes les choses extérieures, où il y a communauté absolue entre eux sur les intérêts communs ; mais quant aux pensers intimes et aux sentiments, qui sont le tout de l’être humain, ils sont aussi étrangers l’un à l’autre que s’ils n’étaient que de simples connaissances. (Applaudissements.)

Voilà pour les ménages aisés. Mais dans les ménages pauvres, quelles ressources, si quelque savoir reliait la femme à son mari ! Au lieu du foyer déserté, ce serait le foyer éclairé, animé par la causerie, embelli par la lecture, le rayon du soleil qui colore la triste et douloureuse réalité. Condorcet l’avait bien compris, et il disait : que l’égalité d’éducation ferait de la femme de l’ouvrier, en même temps que la gardienne du foyer, la gardienne du commun savoir. (Très bien ! très bien !)

Dans tous les cas, il faut bien s’entendre, et bien comprendre que ce problème de l’éducation de la femme se rattache au problème même de l’existence de la société actuelle.

Aujourd’hui, il y a une lutte sourde, mais persistante entre la société d’autrefois, l’ancien régime avec son édifice de regrets, de croyances et d’institutions qui n’acceptent pas la démocratie moderne, et la société qui procède de la Révolution française ; il y a parmi nous un ancien régime toujours persistant, actif, et quand cette lutte, qui est le fond même de l’anarchie moderne,