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site, vit autour de son carrosse un grand rassemblement de peuple, et son laquais tout couvert de sang et de boue. Elle lui demanda qui l’avoit mis en cet état. « C’est, répondit-il, que je me suis battu avec un insolent qui appeloit madame une catin. — Sot que vous êtes, répartit mistress Gwynn, à ce compte, vous vous battrez tous les jours de votre vie. Imbécile, eh ! tout le monde le sait. — Tout le monde le sait ? reprit le valet en murmurant, après avoir fermé la portière, cela se peut ; mais je ne souffrirai pas, moi, qu’on m’appelle le laquais d’une catin. »

La colère d’Honora sembleroit donc assez naturelle, quand elle n’auroit eu pour cause que l’orgueil blessé ; mais elle en avoit encore une autre. On sait que certaines liqueurs produisent sur les passions le même effet que l’huile sur le feu. Elles les enflamment, au lieu de les éteindre. Le punch est une de ces liqueurs. Aussi le savant docteur Cheney le comparoit-il à un feu liquide.

Or, par malheur, Honora avoit tant versé de ce feu liquide dans son gosier, que la fumée lui en monta au cerveau, où l’on suppose qu’est le siége de la raison, et obscurcit cette divine lumière ; au même instant, le feu passant de l’estomac au cœur, y alluma la noble passion de l’orgueil. D’après cette explication, on ne doit plus s’étonner du grand courroux d’Honora, bien