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L’habitude, à la vérité, adoucit l’horreur des actions que la profession rend indispensables et journalières ; mais en toute autre circonstance la nature agit également sur les hommes de tout état, et peut-être même avec plus de force sur ceux qui, livrés à des occupations continuelles, n’ont pour ainsi dire qu’un jour de fête à lui consacrer. Un boucher ne verroit pas sans peine tuer un beau cheval. Le chirurgien qui vient de couper de sang-froid un bras ou une jambe, aura compassion d’un homme en proie à un accès de goutte. On cite un bourreau qui, après avoir pendu cent coquins d’une main ferme, trembla la première fois qu’il eut à trancher une tête. En temps de guerre, les professeurs par excellence dans l’art de verser le sang humain, ne se font nul scrupule de massacrer par milliers leurs confrères, et souvent des femmes et des enfants ; mais quand la paix a fait taire les tambours et les trompettes, ils dépouillent leur férocité et redeviennent des citoyens doux et commodes. Ainsi un procureur peut compatir au malheur de ses semblables, pourvu que son intérêt ne souffre point de sa pitié.

Jones, comme on sait, ignoroit encore de quelles noires et fausses couleurs on l’avoit peint à M. Allworthy. Quant à ses véritables torts, il ne les présenta pas à M. Dowling sous le jour le